Vaccins : mainmise de la Finance au détriment de l’intérêt général

À l’heure où le gouvernement annonce les premiers vaccins pour les personnes fragiles contre la Covid-19, les débats se multiplient autour des enjeux financiers et sanitaires que soulève aujourd’hui la vaccination. Cette dernière fait de plus en plus l’objet de défiance alors même qu’elle a permis d’anéantir de nombreuses maladies par le passé. En cause : le modèle économique de cette industrie, largement financiarisé.

Les spéculateurs aux commandes :

Le système de financement des laboratoires mène à ce que la course et la recherche aux rendements prennent le pas sur la santé. Les grands laboratoires ne portent plus directement la charge du développement et de la recherche en santé. Ils ont ces dernières années externalisé les recherches considérées trop coûteuses et trop risquées, auprès de plus petites entreprises, les biotechs. Les grands laboratoires se concentrent sur la production et prennent des petites participations dans ces start-up qu’ils rachètent dès qu’elles ouvrent une perspective de marché, c’est-à-dire une innovation ayant fait ses preuves.

Une startup n’est pas une entreprise comme une autre mais une entreprise nouvelle à fort potentiel de spéculation sur sa valeur future. C’est la promesse de juteuses plus-values futures qui attire les capitaux des spéculateurs. Les startup distribuent peu de rémunérations : elles emploient peu de personnel, et beaucoup sont rémunérés en actions, et donc en promesses de plus-values futures, de plus, elles distribuent peu de dividende (le revenu de l’action). Il est même arrivé que la valeur de l’action diminue lorsqu’une start-up augmente le dividende car cela fragilise son « business modèle ».
Souvenons- nous du mouvement des « pigeons » de l’automne 2012 : mené par des « business angel » (les spéculateurs qui investissent dans les start-up) et des fondateurs de start-up. L’objet de leur révolte : l’imposition (avec des exceptions) des plus-values de cession de valeurs mobilières au barème de l’impôt comme n’importe quel revenu salarié. Inacceptable, car incompatible avec un « business modèle » fondé sur la spéculation, ils obtiendront gain de cause en cinq jours !

Le système des start-up suppose que pendant des années, elles soient financées à perte
Le risque de ces investissements est élevé, ce qui implique des retours sur investissements très importants. Ces retours sur investissements se traduisent directement par des marges élevées lors de la commercialisation des produits et expliquent leurs prix élevés. Ce processus est celui par exemple qu’a emprunté l’entreprise Moderna, déjà en bourse alors qu’elle n’a jamais commercialisé un seul produit. Suivant cette logique, les patrons de ces entreprises ont vendu massivement leurs actions le jour où ils annonçaient les résultats de leur vaccin, sans attendre même que commencent des campagnes de vaccination.

La spoliation de fonds publics :

Pour rentabiliser les investissements, le brevet déposé sur les innovations privatise leurs découvertes et leur assure le plus possible un monopole afin de fixer les marges de leurs choix.
Alors que les coûts de production des vaccins se situent autour de 1 dollar la dose en général, Moderna et BioNTech proposent des prix aux alentours de 25 dollars la dose pour le vaccin contre la Covid-19 (sachant qu’il faudra 2 doses par personne)

Ces prix exorbitants sont en grande partie le résultat de la course aux profits. Pourtant c’est en grande partie sur de l’argent public ou socialisé que ces recherches se font. Les laboratoires sont en effet les grands bénéficiaires des crédits d’impôt recherche (qu’ils dépensent aussi dans des frais de marketing),et d’autres mécanismes d’attribution de fonds publics de soutien à la recherche. Mais en plus , la plupart des innovations sont réalisées au sein des Universités publiques avant d’être brevetées dans le privé. Dans le cas de la Covid, ce sont plusieurs milliards de dollars d’argent public qui ont été apportés pour soutenir la recherche et le développement d’un vaccin au niveau mondial. Ces montants ne prennent pas en compte les précommandes qu’effectuent les gouvernements pour s’assurer d’être approvisionnés. Les conditions de ces dernières passées entre les gouvernements et les laboratoires ne sont pas publiques,mais ces sommes se chiffrent en dizaines de milliards selon la plupart des observateurs. Et enfin, la troisième phase clinique de test des vaccins sur des milliers de personnes, est menée par les hôpitaux publics. Par ailleurs,les contrats excluent la responsabilité des laboratoires en ce qui concerne les éventuels effets secondaires et imposent de fait la prise en charge par les états des conséquences, notamment en termes d’indemnisation financière des personnes concernées.

Comme pour tout traitement en France, les prix négociés par la Sécurité sociale tiennent compte de trois dimensions : les coûts de la recherche, les coûts des investissements (dans les chaînes de fabrication par exemple), et les coûts de production.Or, dans le cas du vaccin contre la Covid-19, la Sécurité sociale et les États à travers le financement de la recherche et les précommandes ont déjà financé les deux premiers volets. Il est donc insupportable que les citoyens,à travers leurs impôts et cotisations sociales,aient à payer deux fois.

L’obsession du profit crée une défiance de plus en plus importante.

Les gouvernements encouragent de manière implicite cette défiance par leur incapacité à légiférer pour réguler ce marché. Sous la « loi du marché », les manœuvres des industriels créent sciemment et cyniquement l’indisponibilité de certains vaccins bon marché, pourtant obligatoires et vitaux, mais plus suffisamment rentables. Par exemple, Sanofi qui devait fournir 300 millions de doses de vaccins polio injectables à l’OMS en 2017 pour l’Inde, a été en capacité de n’en livrer que 40 millions.
Certains labos, peu scrupuleux, accélèrent aussi les temps dédiés à la recherche et aux tests. La course aux profits des laboratoires n’exclut plus qu’un nouveau vaccin ait demain un rapport bénéfices/risques défavorable et soit néanmoins autorisé, comme c’est le cas pour un certain nombre de médicaments. Afin d’être les premiers dans la rafle aux milliards,certains ont pu mettre sur le marché des vaccins défaillants avec des conséquences dramatiques pour les populations. Il semblerait que cela ait été le cas aux Philippines où Sanofi est poursuivi aujourd’hui pour avoir causé la mort de centaines d’enfants avec la vente de son vaccin contre la Dengue, le Dengvaxia mis au point par une start-up de la biotech rachetée à prix d’or par sanofi en 2008.

Souvent,ces enjeux financiers sont en lien direct avec des enjeux géopolitiques importants et opaques pour les citoyens. Ceci ne peut que concourir à la défiance des populations à l’égard de la vaccination. Les gestions des crises sanitaires souvent liées à des enjeux politiques,laissent des traces dans les esprits et fragilisent les campagnes sanitaires et d’utilité publique. N’importe quel vaccin est susceptible d’avoir des effets secondaires plus ou moins graves, au même titre que les médicaments, mais la recherche permet souvent de les améliorer. Cependant, ces programmes, souvent très coûteux, ne sont pas la priorité des laboratoires privés qui se défaussent sur la recherche publique.

De plus, alors que la vaccination demande une réponse globale et mondiale les Etats se sont lancés dans une course à la précommande sans s’organiser pour déployer de manière égalitaire dans l’ensemble du globe les vaccins. Comme ce sont les détenteurs des brevets, les laboratoires décident de la production, des acheteurs et des prix. Or, les laboratoires ont passé des contrats pays par pays ne garantissant pas un accès à toutes les populations et notamment à celle des pays pauvres.

Pourtant, les recherches montrent que le moyen le plus rapide d’éradiquer cette pandémie est de garantir que les plus vulnérables, partout dans le monde, aient accès au vaccin en premier.
Une étude récente du laboratoire MOBS de la Northeastern University montre qu’il pourrait y avoir deux fois plus de décès dus au COVID-19 si les pays riches monopolisent les deux premiers milliards de doses au lieu de s’assurer qu’elles soient bien distribuées dans le monde entier. En effet, même avec une offre excédentaire de vaccins dans les pays riches, tout le monde ne choisira pas d’être vacciné et aucun vaccin ne sera efficace à 100 %, ce qui laissera de larges proportions de populations vulnérables.

Enfin, alors que le gouvernement lance sa campagne de vaccination dans l’urgence, ce sont toutes les chaînes de production des vaccins qui vont être tournées vers le vaccin Covid-19. Mais, comme depuis des années les laboratoires n’ont eu pour seule obsession de réduire à minima l’appareil productif local et/ou de le délocaliser, il est évident que les usines normalement occupées à la production d’autres vaccins vont devoir se tourner vers celui contre la Covid surtout s’il est plus rentable. Une pénurie d’autres vaccins essentiels (comme ceux contre la grippe par exemple) est à craindre et à prévoir.

Que faire ?

Aujourd’hui, dans une telle période d’incertitude, la régulation publique et la transparence sont primordiales. Fin novembre, alors même que le Président annonçait les premières campagnes de vaccination, aucun résultat n’était détaillé et communiqué pour juger de la pertinence des annonces des labos. Publiciser ces réponses sera une première étape pour cerner l’intérêt de ces vaccins, et déterminer une stratégie de vaccination, en tenant compte de l’intérêt des personnes vaccinées et de celui de la collectivité.

Pour la CGT , le vaccin doit être gratuit pour tous, mais il faut d’abord mettre en place les instances de gestion à l’abri du marché et avec l’intérêt patient-citoyen et populations comme unique objectif. Cette vaccination ne peut se faire dans n’importe quelles conditions et à n’importe quel prix. Il doit y avoir une transparence des pouvoirs publics qui doivent exiger que les vaccins comme les médicaments soient considérés comme biens communs et ne doivent pas faire l’objet d’enjeux financiers. Dès lors,la CGT demande de lever la propriété privée sur les brevets qui empêche la diffusion des vaccins tout en étant le support de profits indécents. Elle revendique une obligation légale pour tous les laboratoires pharmaceutiques de partager leurs connaissances, la propriété intellectuelle et les données, mais aussi d’être transparents à la fois sur les contributions publiques, les coûts de production et les clauses d’accessibilité, et sur les protocoles de contrôles sanitaires.

La Sécurité sociale ne doit pas financer la course aux profits et les actionnaires de laboratoires privés. Comme elle a déjà financé la recherche et les investissements, elle ne doit payer que les coûts de production des vaccins. Les États doivent aussi s’organiser au niveau européen et au niveau mondial, avec l’OMS, pour que les vaccins et traitements puissent être distribués de manière égalitaire dans le monde et que la production de médicaments et de vaccins au niveau local n’implique aucune pénurie. Une première étape serait d’augmenter immédiatement le budget de l’OMS qui organise en plus de ses autres missions la vaccination et l’offre de soins dans les pays pauvres. Son budget, en baisse depuis 2016, aujourd’hui d’à peine 5 milliards est dérisoire comparé par exemple aux 4 milliards de dividendes distribués par l’entreprise Sanofi en 2019 !

Pour la CGT, à partir du moment où l’État investit, la régulation doit passer par un pôle public de santé intégrant les industries de santé, avec une gouvernance démocratique regroupant tous les acteurs, patients comme travailleurs du secteur, soustrait de toute mainmise des laboratoires privés et des entreprises d’assurance et de la logique capitaliste de retour sur investissements pour les actionnaires. Les vaccins, comme les médicaments ne devraient pas être des marchandises, ils sont un bien commun de l’humanité. La santé ne doit pas être le support de profits privés.
Opposons la démocratie sociale à la loi du marché !
Parce que les logiques de la Finance sont mortifères, nous revendiquons la création d’un pôle financier public au service du financement public d’intérêt général passant par des modes de financement repensés sous le contrôle des travailleurs.

Pour que ces questions soient débattues à la commission européenne, la CGT est engagée avec une large coalition d’ONG, d’associations, de syndicats et d’experts de la santé au niveau européen dans l’Initiative citoyenne européenne(ICE) « #Right2cure:Pas de profit sur la pandémie ». En récoltant 1 million de signatures dans au moins 7 pays européens, nous pourrons exiger que soit débattu à la commission européenne un changement législatif concret sur ces questions.

Pour signer : https://noprofitonpandemic.eu/fr/

Montreuil, le 17 décembre 2020

Vaccins : mainmise de la Finance au détriment de l’intérêt général
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