Sur la responsabilité de l’employeur et de l’Etat dans la crise actuelle...

Spécialiste du droit social et de la santé-sécurité des travailleurs, avocat au barreau de Paris, Me Jean-Paul Teissonnière est un acteur déterminé du combat contre l’amiante, bien connu de l’intersyndicale du Tripode.
Son cabinet de renommée internationale a pu tirer des leçons de la catastrophe industrielle d’AZF. Dans cette interview accordée à l’Humanité mardi 31 mars, il pointe la responsabilité des employeurs et de l’État dans cette crise sanitaire inédite.

Quelle est la responsabilité juridique des employeurs en cas de contamination de leurs salariés au Covid-19 ?

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Le principe qui régit ce domaine, posé par l’article L. 4121 du Code du travail, est la responsabilité de l’employeur dans la préservation de la sécurité et de la santé des travailleurs. Il en découle qu’il doit évaluer les risques, remplacer tout ce qui est dangereux par ce qui ne l’est pas ou moins…, c’est-à-dire respecter les principes généraux de prévention. Le salarié peut invoquer la faute inexcusable de l’employeur, à condition que la contamination soit reconnue en accident de travail. Il peut également demander la reconnaissance du préjudice d’anxiété, étant donné la gravité potentielle de la maladie.Sur le plan pénal, des procédures pour mise en danger de la vie d’autrui sont possibles, ou pour homicide involontaire en cas de décès.

Sur le terrain, les employeurs tentent de se dédouaner en expliquant aux salariés contaminés qu’ils peuvent avoir contracté le Covid-19 en dehors du lieu de travail. Comment prouver ce lien avec le contexte professionnel ?

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Il faut déjà que la pathologie soit reconnue par un certificat médical, sinon les dossiers auront du mal à progresser. Pour prouver que la contamination est liée au travail, la notion de proximité temporelle entre le travail et la survenance de la maladie est importante. Par ailleurs, dans les cas des soignants, des caissières ou d’autres professions très exposées notamment dans les services publics, il me semble difficile de contester le lien avec le travail. On va voir les chiffres arriver, mais quand on observe qu’il y a plus de 1 000 cheminots malades du coronavirus, on peut démontrer le lien de causalité.

La contamination au Covid-19 relève-t-elle plus d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ?

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Le Covid-19, qui est une pathologie nouvelle, n’est évidemment pas inscrite au tableau des maladies professionnelles. Cela pourrait ne pas représenter un problème puisqu’il existe une procédure pour faire reconnaître des maladies professionnelles hors tableau. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a d’ailleurs expliqué que les soignants qui contracteraient la maladie feraient l’objet d’une reconnaissance en maladie professionnelle. Sauf que, pour obtenir une reconnaissance hors tableau, il faut attester au moins 25 % d’incapacité permanente partielle liée à la pathologie, ce qui peut être une difficulté dans le cas du Covid-19. Il peut être plus judicieux et plus efficace en termes d’indemnisation de faire une déclaration d’accident du travail, en sachant qu’il existe une jurisprudence au travers des contaminations au virus Ebola.

Suffit-il que les entreprises dotent leurs salariés d’équipements de protection pour éviter des poursuites ? Le ministère du Travail souligne que l’obligation des employeurs vis -à vis de la santé et de la sécurité des salariés est une obligation de moyens et non plus de résultats…

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Cette appréciation du ministère du Travail n’est pas très sérieuse. Elle va à l’inverse des principes généraux de prévention et de la jurisprudence, notamment celle posée par la Cour de cassation concernant les mineurs de Lorraine qui rappelait que l’employeur, même s’il avait mis en place certaines mesures, était responsable en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires. Dans le cas du Covid-19, il ne suffit donc pas qu’une direction mette à disposition des masques ou du gel hydroalcoolique : il faudrait s’assurer qu’il s’agit du type de masque adapté à la prévention de la maladie, renouvelé à la périodicité prévue par les fabricants et la réglementation, etc.

Toujours dans le but de se couvrir juridiquement, certains patrons font signer des décharges à leurs salariés pour qu’ils s’engagent à ne pas poursuivre leur patron. Quelle valeur ont ces documents ?

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Ces décharges sont juridiquement nulles. Il n’existe pas de dérogation aux droits des salariés pour se laisser contaminer !

Quelle pourrait être la part de responsabilité de l’Etat ?

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Dès mai 2019, un rapport de Santé publique France alertait sur les risques d’une pandémie virale et préconisait la constitution de stocks de masques de protection. Un peu sur le modèle de l’affaire du sang contaminé, l’État pourrait être mis en cause pour abstention délictueuse, qui est une branche du délit de la mise en danger de la vie d’autrui.

Vous voyez dans cette crise sanitaire plusieurs parallèles avec l’affaire de l’amiante dans laquelle vous avez défendu de nombreux dossiers...

JEAN-PAUL TEISSONNIÈRE : Oui, dans le cas de l’amiante aussi, les employeurs ont essayé d’expliquer que les ouvriers qui travaillaient dans des usines amiantées avaient été exposés en faisant des travaux chez eux puisque la fibre était présente dans leur toiture. Le moins que l’on puisse dire est que ce genre d’argumentaire n’a pas été couronné de succès. À mon sens, cette catastrophe sanitaire sans précédent appelle la mise en place d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19, financé en partie par les employeurs et par l’État, sur le modèle du Fiva (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – NDLR). Cette mesure constituerait un facteur d’apaisement pour reconnaître l’abnégation et le courage des salariés exposés et leur épargner la seconde souffrance que représentent des procédures judiciaires.

Par Loan Nguyen,
paru dans l’Humanité du 31 mars 2020

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