Paradis fiscaux : dénoncer et agir !

Un colloque a été organisé par l’association “ SURVIE ” à l’Assemblée nationale le 24 juin dernier sur les paradis fiscaux et judiciaires. Invitée à participer à ce colloque, la Fédération des Finances a prononcé une intervention dont nous publions les principaux extraits :

“ …Qu’on le veuille ou non, l’internationalisation des économies a modifié en profondeur les termes du débat fiscal. La délocalisation des activités et donc des assiettes taxables au titre des prélèvements obligatoires se pratique dans le cadre d’une véritable course au dumping fiscal.

L’existence de nombreux paradis fiscaux et bancaires mais aussi de zones dites “franches”, la liberté totale de circulation des capitaux favorisée par l’abolition du contrôle des changes, la dématérialisation des transactions financières, l’utilisation de nouveaux moyens de communication (Internet, téléphonie portable…), la financiarisation de l’économie sans liens avec une activité de développement réel et durable, constituent les sources et les moyens d’une évasion fiscale de plus en plus préoccupante, une des conséquences majeures du phénomène de la globalisation financière…

Globalisation financière qui présente, à minima, trois dimensions principales :

  • Tout d’abord, une mobilité du capital sans précédent : nous insistons particulièrement sur ce point, grâce aux mesures de déréglementation et aux nouvelles technologies, les capitaux et surtout les capitaux financiers ont à présent la possibilité de se déplacer pratiquement en temps réel d’une place financière à l’autre, d’un continent à l’autre.
  • Deuxième dimension : la disparition progressive de la distinction entre les capitaux à long terme destinés aux investissements productifs, et ceux à court terme destinés principalement aux opérations de nature financière ou/et spéculative.
  • Troisième dimension : il s’agit de l’accroissement du poids du capital financier. Pour les détenteurs du capital, pour les marchés financiers, le taux de rentabilité, à minima, des investissements doit être de l’ordre de 15 %. Dés lors, s’engage une stratégie globale et une véritable course à la maximisation des profits avec toutes les conséquences désastreuses que cela peut produire sur le plan économique et social…Nous pouvons ici pointer le phénomène des licenciements boursiers à l’image de l’entreprise Michelin qui lors de l’année 2000 avait réalisé des bénéfices nets d’environ 1 milliard d’euros et décidé dans le même temps de procéder à des milliers de suppressions d’emplois…

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avec la globalisation financière, les finalités de l’activité économique et plus particulièrement des entreprises, les modalités du partage de la valeur ajoutée se sont considérablement modifiées.

En principe, l’objet de l’activité économique consiste à satisfaire les besoins sociaux. La valeur ajoutée produite doit permettre le financement des rémunérations versées aux salariés, des prélèvements obligatoires (budgets de l’Etat, des collectivités locales et de nos systèmes de protection sociale), la modernisation et le renouvellement de l’appareil de production, le solde étant versé aux actionnaires et aux propriétaires sous forme de dividendes.

Avec la globalisation financière, nous sommes confrontés à une autre logique. Tout est fait pour assurer d’abord le fameux taux de 15 % de rémunération des actionnaires puis on ajuste les autres facteurs.

Dans cette stratégie globale de maximisation des profits au service d’une rentabilité accrue des actifs financiers détenus par les propriétaires des moyens de production, les zones franches et les paradis fiscaux jouent un rôle non négligeable.

Ils constituent un moyen du point de vue des entreprises pour échapper à l’impôt, aux cotisations sociales ou en minimiser considérablement le volume, du point de vue des Etats d’attirer des capitaux.

Selon l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 850 zones franches existent dans le monde. Elles emploient 27 millions de travailleurs et génèrent 200 à 250 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Dés que des revendications portant sur les salaires ou la protection sociale se font jour, les entreprises procèdent à des délocalisations. Lorsque des exemptions fiscales viennent à échéance, ces mêmes entreprises ferment leurs portes et réapparaissent sous un autre nom !

Quant aux paradis fiscaux et financiers, recensés au nombre de 60 à 90 dans le monde, ils constituent des micro-territoires ou des Etats aux législations fiscales laxistes ou inexistantes.

Il convient de souligner que les paradis fiscaux sont, contrairement à ce que l’on croit, implantés dans les grands pôles d’activité économique (Etats-Unis, Europe et Asie) et que nous pouvons considérer, du point de vue français, que l’on se trouve en présence d’un régime fiscal privilégié dès lors qu’un contribuable est soumis dans un Etat étranger ou un territoire considéré, à un impôt inférieur d’au moins un tiers à celui qu’il aurait supporté en France pour la même base taxable, la comparaison devant s’appliquer à des impôts, considérés dans leur ensemble et de même nature.

Bien évidemment, outre l’absence d’impôt sur le bénéfice ou le revenu ou encore l’absence de taxe sur les donations et les successions, les paradis fiscaux se caractérisent aussi par :

  • L’absence de pénalisation du blanchiment de l’argent sale. Rappelons ici qu’après les attentats meurtriers perpétrés aux Etats-Unis, de nombreux gouvernements semblaient soudainement découvrir le rôle pour le moins “ nocif ” exercé par les paradis fiscaux. Des territoires sans loi facilitant, à l’évidence, le transit et le blanchiment de fonds de toutes origines (fraudes multiples et diverses, corruption, rackets, trafics…) et destinés à diverses finalités comme le financement d’armées privées ou d’actes terroristes.
  • Le secret bancaire et l’existence de comptes anonymes.
  • L’interdiction pour le banquier de dévoiler aux autorités judiciaires ou fiscales le bénéficiaire d’une transaction ou le titulaire d’un compte.
  • Etc, etc…

Economie souterraine, Economie criminelle, Financiarisation de l’économie, Affaissement des recettes budgétaires des Etats au détriment des politiques et des missions publiques, Dumping fiscal, Mouvements spéculatifs de capitaux minent les possibilités de construire les conditions d’un développement durable et solidaire dans le monde et génèrent un accroissement de la pauvreté, des inégalités, de la précarité et de l’insécurité sociale. Nous pourrons revenir dans le débat sur toutes ces conséquences.

Toutefois, il nous semble nécessaire de dire et d’affirmer que l’existence des paradis fiscaux et des zones franches, le phénomène de la globalisation financière ne tombent pas du ciel, qu’ils sont le produit d’une action délibérée et qu’il est donc possible de faire d’autres choix. De ce point de vue, il nous semble nécessaire aussi d’affirmer que l’Union européenne peut et doit jouer un rôle dans le sens ou elle est un acteur et un vecteur de cette globalisation financière.

L’Union doit se battre pour imposer notamment :

  • L’abrogation des paradis fiscaux afin que l’ensemble des revenus taxables soient non seulement connus mais aussi taxés de manière réelle et à un niveau suffisant.
  • Réelle application et mise en œuvre au sein au sein de l’Union de l’accord du 21 janvier 2003 permettant de taxer à partir de l’année 2004 les intérêts perçus par les Européens qui ont placé leurs capitaux à l’étranger. (Pour l’instant, les pays qui pratiquent le secret bancaire, l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique ont suspendu leur participation à ce dispositif tant que les paradis fiscaux de Monaco, d’Andorre et du Liechtenstein n’appliqueront pas cet accord !). L’attitude de ces Etats pose la question de la possibilité au sein de l’Union de faire évoluer les législations fiscales sur la base de la majorité qualifiée et non plus sur le mode de l’unanimité.
  • La traçabilité des opérations financières internationales, ainsi un contrôle public des chambres de compensations (sociétés de clearing) doit être mis en place.
  • La fin du secret bancaire et, à minima, dans un premier temps, la levée du secret bancaire lors des demandes d’entraide internationale en matière pénale, et le renforcement de la coopération internationale en matière de justice et de fraude fiscale (appel de Genève du 1er octobre 1996 initié par des magistrats européens).
  • Des nécessaires modifications législatives mettant fin aux possibilités d’évasion fiscale et de défiscalisation abusive.
  • Une réelle coopération des banques dans l’accès aux comptes bancaires.
  • Une taxation des mouvements spéculatifs de capitaux (taxe Tobin popularisée par l’association Attac).

En France, il faut aussi :

  • Organiser une réelle coopération entre les Ministères de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, de la Justice et de l’Intérieur, la levée du secret professionnel entre les agents de ces différentes administrations.
  • Créer des emplois qualifiés au sein du MINEFI et affecter un nombre plus important de personnels formés dans les services de gestion, de recherche et de vérification. De ce point de vue, la politique mise en œuvre au Minefi ne va pas dans le bon sens puisque Nicolas Sarkozy entend supprimer des milliers d’emplois.

Enfin, que devons-nous penser du projet d’amnistie fiscale suggéré par le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin qui, in fine, consisterait à financer un plan dit de “cohésion sociale” avec de l’argent sale ?

Il est véritablement temps de redécouvrir et de réaffirmer l’esprit de l’article 13 de la déclaration des droits et des citoyens de 1789 qui affirmait la nécessité de mettre en œuvre des politiques publiques financées par la dépense publique pour construire le lien et la cohésion sociale”.

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