Europe : le débat confisqué

Le Parlement français vient de ratifier le traité de Lisbonne, désavouant ainsi le suffrage populaire puisque, selon Valéry Giscard d’Estaing, ce texte est « identique dans sa substance à 98 % » au projet de Traité constitutionnel rejeté à 55 % par les citoyens français en 2005.
Ce déni de démocratie, contre lequel la Fédération des Finances CGT s’est élevée en participant pleinement aux actions menées par le Comité pour un référendum (CNR), n’est en fait que l’épilogue français d’un processus plus global visant à retirer au peuple le droit de regard qui lui avait été timidement et partiellement concédé sur la construction européenne.

(Retrouvez l’intégralité de notre dossier dans le numéro 3 de notre journal)

Engagées dans une fuite en avant libérale les élites européennes ont été désarçonnées par les conséquences de l’irruption des citoyens. Sûres d’elles-mêmes, elles pensaient le moment venu, après la mise en place du marché et de la monnaie uniques, parachever l’édifice en le gravant dans le marbre d’une constitution à laquelle certains gouvernements ont souhaité, avec raison, donner l’onction du suffrage universel... avec le résultat que l’on sait. Les Français et les Néerlandais ont refusé un texte légitimant les politiques ultra libérales dont ils vivent quotidiennement les effets néfastes.

Après deux ans d’hésitation, les Chefs d’État et de gouvernement ont donc décidé de reprendre la main en juin 2007, élaborant dans le huis clos du Conseil européen, un nouveau traité reprenant l’essentiel du contenu du précédent. L’affaire fut rondement et promptement menée. Le nouveau traité a ainsi été signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne sans qu’aucun débat public n’ai pu véritablement avoir lieu. Et pour ne prendre aucun risque, les Chefs d’État et de gouvernement se sont engagés à faire procéder à sa ratification par la voie parlementaire, à l’exception de l’Irlande que sa constitution contraint à recourir au référendum. Il y a d’ailleurs fort à parier que les Irlandais vont être soumis à un intense pilonnage médiatique !

Pour choquant qu’il soit, ce refus de donner la parole aux citoyens sur la construction européenne n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Les Français n’ont été consultés qu’à trois reprises en un demi-siècle : en 1972 sur l’élargissement au Royaume-Uni, à l’Irlande, au Danemark et à la Norvège, en 1992 sur le traité de Maastricht et en 2005 sur le TCE. On pourrait même dire que ce refus est la marque de fabrique d’une Europe qui se construit sans les peuples parce que souvent contre eux.

Alors que les décisions européennes impactent directement la vie quotidienne de millions de personnes (plus de 80 % des lois françaises ne sont que la transposition de directives européennes) et conditionnent leur avenir, les choix qui les sous-tendent ne donnent quasiment pas lieu à débat public. Les citoyens (mais ce mot a-t-il encore un sens au niveau européen ? ...) ne peuvent à aucun moment exprimer leur vision de l’Europe et peser sur les orientations qui lui sont données.

De fait, la méthode retenue est indissociable des objectifs poursuivis. Manifestement les enjeux de la construction européenne pour les multinationales et les marchés sont considérés comme trop sérieux pour que celle-ci soit laissée au bon vouloir des peuples.

Au-delà des idéaux de paix de ses initiateurs, l’Europe est avant tout conçue comme un grand marché générateur de profits, un outil au service des entreprises dans la concurrence internationale.

Cette conception et le « déficit démocratique » qu’elle implique se sont accentués au cours des vingt dernières années.

Cependant, elle était déjà présente dès l’origine de la construction européenne. En effet, quelques mois avant la signature du Traité de Rome, en 1957, Pierre Mendes France déclarait, de façon très prémonitoire, à la tribune de l’Assemblée nationale : « Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes [...].

L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne, par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit elle recourt à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. Car au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ». On mesure aujourd’hui combien il avait vu juste !

Outre le défi qu’elle pose à la démocratie, cette évolution porte en germe le risque d’un discrédit et d’un rejet de l’idée même d’Europe. Or, nous avons besoin d’Europe ! Face à une mondialisation financière destructrice de toutes les solidarités, l’Europe est l’espace pertinent pour construire un autre modèle social privilégiant la coopération à la concurrence, les services publics aux privatisations, les droits humains aux règles du commerce. Derrière le débat dont les peuples sont privés sur les choix pris en leur nom, c’est l’Europe vecteur de leur émancipation qui leur est confisquée.

Devant un tel rapt, il y a urgence à dénoncer les logiques à l’œuvre mais aussi à rompre avec le fatalisme ambiant en montrant que d’autres choix sont possibles pour mettre l’Europe au service de ses citoyens et y promouvoir l’emploi, la satisfaction des besoins sociaux et le développement durable. C’est ce que fait, à son niveau, la Fédération des Finances CGT en mettant en débat des propositions relatives à son champ professionnel (politiques économique, budgétaire et monétaire, fiscalité, protection des consommateurs, statistiques...).

Nous contacter

Fédération des Finances CGT
263 rue de Paris - Case 540
93514 Montreuil cedex
Tel : 01 55 82 76 66
contact@cgtfinances.fr
https://www.high-endrolex.com/11