Dévoiement des missions des douanes ?

Frontex. Les agents des douanes sont appelés par leur administration à assister les autorités grecques dans les procédures de renvoi des migrants vers la Turquie (voir encadré ci-après). Indigne et inacceptable pour le Snad-CGT, qui condamne en outre ce détournement des missions douanières.

Le syndicat Snad-CGT s’est fortement ému d’une récente note interne qu’il a qualifiée de « note de la honte » dans un communiqué adressé à la direction des douanes et à la presse. De quoi s’agit-il ?

Manuela Dona (secrétaire générale du Syndicat national des agents douaniers Snad-CGT, premier syndicat de l’administration des douanes)

Il s’agit de réquisitionner des agents volontaires dans le cadre de l’agence européenne Frontex pour assister les autorités grecques dans les procédures de renvoi des migrants et des réfugiés vers la Turquie. Cette note, c’est du jamais vu au sein de notre administration. Elle est choquante à plus d’un titre, et d’abord pour la mission proposée. Agents volontaires : leur mission revient en fait à chasser les réfugiés qui arrivent sur le territoire grec. Et pour ce faire, la note précise que les connaissances en douane ne sont pas nécessaires, qu’il suffit juste de savoir parler l’anglais et d’être en mesure d’exécuter des gestes professionnels techniques coercitifs. Tout cela est totalement honteux. Il faut comprendre qu’il s’agit de missions non-douanières et, de surcroit, humainement et politiquement indignes.

Comment le syndicat Snad-CGT a-t-il eu connaissance de cette note ?

Nous en avons eu connaissance par hasard, en même temps que plusieurs salariés au moment où certains d’entre eux voulaient se porter volontaires. Mais notre syndicat a aussi été alerté par l’un de nos militants qui l’avait reçue. Quand je l’ai lue, je n’y ai d’abord pas cru – elle était datée du 1er avril – et puis nous n’avions eu aucune information officielle de notre direction générale. Même lorsque nous l’avons interpellée via notre communiqué exigeant l’abrogation de cette note, notre administration ne nous a pas répondu.

Quelles ont été les réactions des agents douaniers ?

Pour certains agents, une telle demande est si énorme, elle paraît si impossible, qu’elle n’est même pas crédible. Mais d’autres, qui visiblement ignorent tout de ce qui se passe réellement sur place – les conditions épouvantables dans lesquelles se trouvent bon nombre de ces migrants –, peuvent y voir une opportunité ; car, en effet, la mission est plutôt bien rémunérée, à hauteur de 200 euros par jour. Nous savons d’ailleurs qu’il y a plus de postulants que les 60 à 80 places disponibles.

Quelles actions le Snad-CGT a-t-il engagées, avec quels résultats ?

En l’absence d’informations précises, nous n’avons eu que très peu de possibilités d’actions en amont avec les syndiqués. D’où notre lettre de demande d’abrogation de la note immédiatement adressée à notre direction. En revanche, toutes nos sections syndicales ont organisé des débats, qui portent leurs fruits puisque de nombreux collègues qui voulaient se porter volontaires ont renoncé. Nous avons également alerté la presse qui ne savait rien de cette affaire. Beaucoup de journalistes et de grands médias lui ont donné de l’écho.

Même démarche de buzz au sein du réseau CGT : via notre fédération des Finances, qui relaie l’information en son sein et sur les réseaux sociaux ; via des militants de la LDH, qui ont fait de même auprès d’Amnesty International et d’autres organisations pour la défense des droits humains ; via notre camarade des Finances spécialiste de la Grèce, Jean-Albert Guidou, qui a fait traduire et connaître notre communiqué par Panagiotis Sotiris (philosophe et dirigeant du Front de la gauche anticapitaliste en Grèce - Antarsya).

Qu’en est-il du côté de votre administration aujourd’hui ?

Précisons que nous sommes en rupture totale de dialogue social avec la direction depuis au moins trois ans en raison de la diminution continue de nos moyens et de nos missions douanières. Cela explique en partie que nous n’ayons toujours pas de réponse à notre demande d’abrogation.

Cependant, une deuxième note est sortie dans la foulée. Très édulcorée par rapport à la première, cette version amendée indique, par exemple, qu’aucune arme (telle qu’une bombe incapacitante ou un bâton télescopique) ne devra être portée et que l’usage de mesures coercitives restera exceptionnel. Mais ce n’est qu’une version plus présentable de la même mission inacceptable.

Quelles suites comptez-vous donner ?

Nous souhaitons continuer à débattre du fond de cette question qui ne peut pas laisser indifférent, et qui en pose beaucoup d’autres. Car, si nous nous laissons imposer de telles missions, quelle sera l’étape suivante ? Où est la limite ? Sachant que pour nous, Snad-CGT, elle est déjà franchie.

Quel est le sens de notre métier, mais aussi, quel avenir pour notre administration, jusqu’où va-t-on continuer de nous démunir de nos missions ? Autant de questions que nous posons depuis des années, tandis que nos moyens de lutter contre le financement du terrorisme ne cessent de diminuer et que certains prônent notre rattachement au ministère de l’Intérieur. On voit bien le danger qui se profile.

Nous comptons beaucoup aussi sur les retours des « volontaires », car nous savons, via les syndicats de la police, dont les effectifs ont déjà été mobilisés sur ce type de mission, que nombreux sont ceux qui demandent à revenir. Enfin, nous tiendrons notre congrès en mai, et ce sera l’occasion de replacer ces questions centrales au cœur de nos débats.


Des frontières contre l’asile

L’UE vient de conclure avec la Turquie un accord qui lui permet de sous-traiter à Ankara l’accueil des réfugiés. Explications.

À tous ceux que la misère, le chômage, l’absence de droits, l’exploitation de leurs terres et des ressources de leurs pays par des multinationales… poussent vers l’exil, s’ajoutent toutes ces dernières années des centaines de milliers de familles contraintes de fuir la guerre, l’occupation, les bombardements, en particulier sur le continent africain et au Proche-Orient. L’été dernier, l’Europe a fait mine de découvrir l’ampleur de ce qu’elle a ensuite qualifié de « crise migratoire ».

C’est que, après la Turquie, le Liban, la Jordanie, qui accueillent sur leur sol des millions de réfugiés de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak, les demandeurs du droit de survivre ont commencé à arriver en Europe. D’Irak, ils fuient en particulier les conséquences de l’occupation militaire par les États-Unis, qui s’est accompagnée du délitement de l’État, de son implosion sur des critères confessionnels, et de la montée en puissance de l’« Organisation de l’État islamique » (OEI).

De Syrie, ils tentent d’échapper aux bombardements de masse du dictateur Bachar al-Assad et à l’avancée de l’OEI…

Murs, barbelés, camps, nouvelles maladies…

C’est dans ce contexte que la Méditerranée devient un vaste cimetière. Déjà, certains États membres de l’UE ont érigé des murs de barbelés contre ces milliers de familles qui réclament asile. Nombre de réfugiés sont aujourd’hui contraints de s’entasser dans des camps de fortune en Europe ou à ses portes. Les conditions sanitaires dans ces lieux de survie temporaire et la fragilisation des personnes sont telles que se multiplient les cas de gale, de tuberculose, de rougeole, de polio… Les enfants sont parmi les plus vulnérables.

Tandis que la solidarité de citoyens, de médecins et soignants, de jeunes, d’humanitaires… se développe, l’UE tente d’éloigner plutôt que d’accueillir. Par un « tri » entre « bons » et « mauvais » migrants selon qu’ils sont ou non susceptibles de bénéficier du droit d’asile. En renforçant les moyens de l’agence de protection des frontières Frontex. Ou en traitant avec des pays tiers pour leur sous-traiter l’accueil des réfugiés, et pour qu’ils jouent les chiens de garde des frontières de l’UE.

En vingt ans, selon les estimations des associations de défense des droits humains et des droits des migrants, plus de 20 000 personnes seraient mortes aux frontières européennes.

Sous-traitance à la Turquie

Sous-traiter l’accueil des réfugiés à la Turquie. Et se détourner de ses obligations d’accueil des demandeurs d’asile. Tel est le sens de l’accord conclu mi-mars entre l’Union européenne et Ankara. En théorie, il consacre le principe « un pour un », selon lequel tous les nouveaux « migrants en situation irrégulière » qui tentent de gagner la Grèce depuis la Turquie y seront renvoyés ; alors que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un autre sera réinstallé dans l’UE.

Mais à la condition de ne pas dépasser le quota de… 72 000 personnes, puisque l’accord s’inscrit dans le cadre des engagements déjà pris par l’Union européenne en termes de réinstallation et de relocalisation (avec respectivement 18 000 et 54 000 places encore disponibles). 72 000, pour 28 États membres, quand les pays voisins de la Syrie en reçoivent plusieurs millions.

Statut de pays « sûr »

Il aura suffi à l’UE de promettre d’accélérer le versement des trois milliards d’euros déjà promis à Ankara, et de qualifier la Turquie de pays « sûr », pour s’engager dans ce que Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), dénonce comme « une tentative hypocrite de contourner des obligations internationales ». Déjà, de Turquie, des cas de réexpulsions vers la Syrie ont été signalés.

Article publié sur www.nvo.fr

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