Multinationales : la fin de l’optimisation fiscale ?

Fiscalité mondiale. Refondre l’architecture de la fiscalité mondiale, rien que ça ! Le texte proposé par l’OCDE en vue de lutter contre l’optimisation fiscale des grandes multinationales échappant à l’impôt a été signé par les ministres des Finances lors du G20, vendredi 9 octobre. Il devrait être ratifié par les chefs d’État lors du prochain sommet à Antalya (Turquie), les 15 et 16 novembre prochains. « On va dans la bonne direction, reconnaît Alexandre Derigny, membre de la direction de la fédération des Finances CGT, mais la fin des paradis fiscaux et du secret bancaire sont encore loin. »

Comment analysez-vous ce texte ?

Il vise à mieux lutter contre les pratiques d’évasion fiscale des multinationales – les PME ne peuvent pas en faire autant puisqu’elles ne sont présentes que sur le territoire national. Les États-Unis ont été moteur de la démarche car, bien que maîtres de la logique libérale, ils luttent beaucoup contre l’évasion fiscale.

Selon Les Échos du 7 octobre, « les 500 plus grands groupes américains stockent plus de 2 000 milliards de dollars de revenus à l’étranger ». Ce sont des centaines de milliards qui s’évaporent dans la nature et qui n’entrent pas dans les caisses de l’État fédéral.

Est-ce du protectionnisme ?

Absolument pas. La réalité, c’est que des multinationales, dont les entreprises produisent, vendent et créent de la richesse à un endroit donné, parviennent, grâce à un dispositif complexe, à ne pas payer d’impôt là où elles ont cette activité réelle.

C’est un problème économique et social, il est normal que l’entreprise paie l’impôt là où elle crée des richesses, où travaillent ses salariés et où elle profite des infrastructures pour se développer.

Les entreprises peuvent-elles s’installer là où la fiscalité est la plus faible ?

Oui, et cela entraîne une spirale infernale qui n’en finit jamais avec l’évasion fiscale et le dumping fiscal. Dès lors que l’entreprise peut s’installer dans un pays à fiscalité avantageuse, ce pays va être concurrencé par un autre qui va vouloir baisser son taux d’imposition pour attirer l’entreprise.

Par exemple, si Coca-Cola est basée en Irlande pour sa faible fiscalité et que la France veut attirer cette entreprise, elle va devoir proposer un taux d’imposition plus bas ; si l’Allemagne veut l’attirer aussi, elle sera tentée d’abaisser ce taux davantage encore. On va dans le mur si on n’adopte pas des règles communes. D’où l’idée de ce texte.

Encore faut-il qu’il soit respecté par tout le monde…

Non seulement il faut qu’il soit respecté par tous, mais il doit être suffisamment ambitieux pour réellement juguler le phénomène. Le problème, c’est qu’au départ, en 2013, les mesures proposées par ce texte étaient beaucoup plus strictes que celles qui figurent dans le texte que signeront les 62 pays à Lima, lors du G20. Les lobbys des industriels et des grandes entreprises sont passés par là.

Ce rapport a néanmoins pour vertu de faire parler de cette question et de montrer au grand jour ce problème colossal. Rappelons que si nous réussissions à faire que les multinationales soient imposées sur les richesses qu’elles produisent en France, nous n’aurions pas le problème des 3 % de déficit. C’est un enjeu économique et de justice central.

Les lobbys économiques sont donc plus puissants que les acteurs politiques réunis à l’OCDE qui ont tout à gagner avec l’adoption de ce texte ?

Tous les pays n’ont pas les mêmes intérêts : les USA ou les Européens ont une activité économique réelle sur leur sol et ont donc tout intérêt à voir l’imposition de cette activité se faire sur leur territoire. D’autres États ne vivent qu’en attirant les entreprises alors qu’elles n’ont pas ou peu d’activité économique réelle sur leur sol, comme l’Irlande, le Luxembourg, le Panama, et tous les paradis fiscaux.

Quelle est la mesure phare de ce texte ?

Celle de la transparence. Les sociétés devraient être contraintes de transmettre certains éléments sur leurs filiales aux services fiscaux des pays où sont implantées ces filiales. Chiffre d’affaires de l’entreprise, effectifs, etc. seront désormais systématiquement transmis. Jusqu’ici, ces éléments n’étaient accessibles que lors d’un contrôle fiscal ou d’assistances internationales prévues par des conventions. C’était très compliqué.

L’encadrement des prix de transfert – dont la presse parle beaucoup – est une « fausse » mesure. Le prix de transfert est le prix auquel des filiales d’une même société font des échanges commerciaux entre elles, notamment pour ce qui concerne des marchandises.

Starbucks France, par exemple, va acheter ses grains de café très cher à Starbucks Suisse. Ainsi, ses bénéfices seront diminués en France et favorisés en Suisse où le taux d’imposition est bien inférieur. Ces prix sont déjà encadrés – il est illégal de faire payer une marchandise dix fois le prix du marché –, mais c’est extrêmement difficile à contrôler.

Comment déterminer le prix du marché ?

Il est variable selon le type de transaction. La mesure proposée est donc vouée à l’échec. Au départ, l’idée consistait à taxer l’ensemble des bénéfices d’un groupe proportionnellement à l’activité qu’il avait dans tel ou tel pays ; c’était beaucoup plus simple et efficace.

Les patent boxes (boîtes à brevets) sont-elles également en jeu ?

Oui, ce principe est très pratiqué. Par McDonald’s notamment. Il s’agit, par exemple, de faire acheter par ses restaurants français la marque de l’enseigne à McDonald’s Luxembourg – situé dans un paradis fiscal en plein cœur de l’Europe – à qui ces restaurants reverseront 10 à 20 % de leurs bénéfices annuels. Résultat : en 5 ans, 1,5 milliard d’euros ont ainsi échappé au Trésor français. Le texte initial prévoyait d’interdire ces patent boxes. Elles restent finalement valables jusqu’en 2021, puis seront remplacées pas un dispositif dont les contours sont encore flous.

Le large consensus obtenu autour de ce texte est-il dû à sa faiblesse ?

Oui, c’est un grand classique. On ne répond pas à l’ampleur du problème. On va dans la bonne direction, mais on a fait un pas là où il faudrait en faire cent.

L’autre souci est que, parmi les 62 États signataires, les pays en voie de développement sont les grands absents. Or, l’évasion fiscale des multinationales siphonne encore plus l’économie de ces pays puisqu’ils n’ont que de faibles moyens pour faire respecter ces règles qui sont, du reste, décidées sans eux.

A lire sur NVO.fr

Nous contacter

Fédération des Finances CGT
263 rue de Paris - Case 540
93514 Montreuil cedex
Tel : 01 55 82 76 66
contact@cgtfinances.fr
https://www.high-endrolex.com/11