Prélèvements obligatoires et fiscalité : la direction prise n’est pas la bonne !

Réunie les 12 et 13 septembre dernier, la commission exécutive de la Fédération des Finances CGT a débattu des enjeux de fiscalité. Nous publions une partie des contributions aux débats.

« ... Alors que, l’Assemblée Nationale a voté, dans le cadre du dernier collectif budgétaire, une réduction de l’impôt sur le revenu à payer de 5 %, il est tout d’abord urgent de remettre en cause les présupposés de l’idéologie libérale sur la fiscalité.

En effet, cette réduction d’impôt s’inscrit dans un contexte marqué par un certain consensus autour de l’idée que les prélèvements obligatoires sont trop élevés en France.

Quelle est la réalité française ? Le taux des prélèvements obligatoires est, en France, de
l’ordre de 45 %. Dans une première approche, il est juste de constater que nous sommes en présence d’un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE puisque seuls les pays scandinaves ont des taux supérieurs pouvant dépasser les 50%.

Toutefois, ce constat mérite d’être nuancé par la formulation des remarques suivantes :
Fruit des luttes et des rapports de forces, les cotisations pour financer les dépenses de santé ou pour la retraite, sont, dans un pays comme le nôtre, non seulement socialisées mais obligatoires et sont donc, à juste titre, comptabilisées comme des prélèvements obligatoires. Il n’en est pas de même dans d’autres pays membres de l’OCDE.

Il existe donc des spécificités nationales du point de vue des modalités de financement des systèmes de protection sociale qui expliquent les différentiels constatés entre les niveaux de prélèvements obligatoires et qui faussent les possibilités et les pertinences des tentatives de comparaisons internationales.

L’existence de telles disparités dans les modes de financement met en évidence que les prélèvements obligatoires doivent en fait toujours être envisagés sous l’aspect de choix sociaux et politiques relatifs à l’organisation du lien social et de la cohésion sociale.

Les prélèvements obligatoires ont pour finalité première de dégager les ressources nécessaires au financement de politiques publiques qui doivent permettre à chaque citoyen de satisfaire leurs besoins fondamentaux (éducation, santé, culture, formation ...).

Par ailleurs, à ceux qui affirment qu’un niveau trop élevé de prélèvements obligatoires serait nuisible à la croissance, il convient d’observer que, durant les « trente glorieuses » (1945/1975), les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu atteignaient des taux nettement supérieurs à 50% et que, de toute évidence, cela n’a guère constitué un obstacle au développement économique et social.

Enfin, rien ne démontre aujourd’hui une efficacité supérieure de la dépense privée sur la
dépense publique. L’actualité récente l’a encore démontré avec le fiasco occasionné par la privatisation du chemin de fer britannique ou de l’électricité dans l’Etat de Californie.

Les propos tenus sur le niveau prétendument trop élevé des prélèvements obligatoires relèvent d’assertions générales et contestables, il est plus important de mener une réflexion sur la nature et le niveau des politiques publiques dont nous avons besoin et d’organiser le financement public de ces dernières sur la base d’une fiscalité plus juste.

Concernant plus particulièrement la réforme de l’impôt sur le revenu, ce dernier n’a cessé, ces dernières années, d’être attaqué par les différents gouvernements qui se sont succédés.

Ainsi, en juin 1996, le plan Juppé de réforme de l’impôt sur le revenu organisait la suppression de la décote, la diminution sur une période de 5 ans du taux maximum marginal d’imposition qui devait passer de 56,8 % à 47 %, une première baisse de 25 milliards de francs de l’impôt sur le revenu. La réforme ne fut pas poursuivie.

En septembre 2000, le plan Fabius était également très important puisqu’il organisait sur
une période de 3 ans une baisse de l’impôt sur le revenu de 120 milliards de francs. Les taux marginaux d’imposition des différentes tranches du barème progressif étaient diminués, de 3,5 points pour les deuxième et troisième tranches ; de 2,5 points pour les quatrième et cinquième tranches ; de 1,5 points pour les sixième et septième tranches.

Les mesures adoptées dans le cadre du dernier collectif budgétaire d’été constituent donc une nouvelle étape qui devrait d’ailleurs être poursuivie dans le cadre de l’adoption du projet de loi de Finances 2003.

Ainsi, l’Assemblée Nationale a voté une baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu à payer pour 2002 et devrait s’ajouter à cela une nouvelle diminution de 1 % au titre du projet de loi de finances 2003. Il convient ici de rappeler que le Président Chirac s’est engagé à diminuer l’impôt sur le revenu de 30% entre 2002 et 2007. Il s’agit pour la nouvelle majorité de faire passer le taux supérieur de l’impôt sur le revenu sous la barre symbolique de 50 %.

Au niveau des coûts budgétaires, la baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu représente une baisse des recettes fiscales de 2,6 milliards d’euros alors que la baisse de l’impôt sur le revenu au titre de 2003 de 1% représentera une baisse de 500 millions d’euros.

Quelles sont les enjeux et les critiques de cette réforme de l’impôt sur le revenu ?

1/ Tout d’abord, nous assistons à une remise en cause de l’impôt progressif.

L’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen affirmait que « pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Le principe de l’impôt progressif était proclamé. Il s’agissait de mettre en oeuvre un mécanisme fiscal où plus les revenus augmentent et plus les taux d’imposition marginaux sont élevés. Seul un impôt progressif permet la réduction des inégalités en organisant la redistribution des richesses produites et détenues. Alors que les inégalités de revenus et de patrimoines ne cessent de se creuser dans un pays comme le nôtre, c’est pourtant cet impôt progressif qui ne cesse d’être attaqué.

2/ Cette mesure fiscale est profondément inégalitaire et nous pouvons dire qu’elle sert
les intérêts de la France d’en haut.

En effet, prés d’un ménage sur deux ne payant pas l’impôt sur le revenu, ces derniers ne « bénéficieront » donc pas de cette baisse d’impôt. Seuls les ménages disposant de revenus suffisants afin de payer l’impôt sur le revenu « bénéficieront » de la baisse. Par ailleurs, parce qu’elle organise une baisse de 5% du montant de l’impôt à payer, cette mesure fiscale va procurer un avantage d’autant plus important que les revenus imposables sont élevés. Ainsi, un couple marié avec deux enfants disposant d’un revenu annuel de 153 000 euros (1million de francs) bénéficiera d’une réduction de 11100 francs contre 177 francs (soit soixante trois fois moins) pour le même type de couple avec un revenu de 20 800 euros (137 000 francs) (projections du journal Alternatives économiques de septembre 2002).

3/ Il est improbable qu’une telle mesure soit favorable à la croissance.

En effet, la baisse de l’impôt sur le revenu devrait bénéficier à des ménages qui ne consomment pas intégralement leurs revenus. Thomas Piketty, auteur du livre « es Hauts Revenus en France au XXe siècle/Inégalité et redistribution » indiquait ainsi que « 70 % des recettes de l’impôt sur le revenu proviennent des foyers les plus aisés, ceux pour
qui le taux d’épargne est le plus élevé. Si on rajoute à ces contribuables, un franc de revenu à la marge, ils ont tendance à en épargner une fraction extrêmement importante. Il n’y a donc pas d’effet pour la relance de la consommation ». Il ajoutait « ... il serait
plus efficace de baisser les prélèvements pesant plus lourdement sur les revenus moyens et modestes, à commencer par la Taxe sur la Valeur Ajoutée ».

Que devons nous proposer ?

1/ Tout d’abord, il est fondamental de réhabiliter l’impôt sur le revenu en tant qu’impôt progressif qui tend à réduire les inégalités en organisant la redistribution des richesses (il convient ici de rappeler que 1% de la population détient aujourd’hui 20% du patrimoine et que 10 % de cette même population détient plus de 50 % du patrimoine).

2/ Il faut continuer à développer nos propositions de réforme fiscale. Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, il s’agit notamment :
 De modifier l’assiette de cet impôt encore composé pour l’essentiel (environ 80 % de l’assiette) par les revenus du travail : traitements, salaires, pensions.
 D’imposer moins le facteur travail et plus le facteur capital. Nous devons réaffirmer la nécessité d’imposer les revenus du capital, de l’épargne dans le cadre du barème progressif de l’impôt sur le revenu.
 Cela passe par l’abrogation de la technique du prélèvement libératoire. Il faut aussi mettre fin à la technique de l’avoir fiscal dont le coût budgétaire a été évalué par la loi de Finances 2000 à 14 milliards de francs.
 Enfin, il est temps aujourd’hui de remettre à plat les multiples exonérations et abattements existants et de réexaminer la mécanique inégalitaire du quotient familial.

Il nous faut mener campagne auprès des contribuables, avec les personnels du Ministère, afin de réhabiliter l’impôt dans ses différentes finalités, parmi lesquelles le financement de politiques publiques indispensables à la construction du lien social et de la cohésion sociale par la satisfaction des besoins fondamentaux des citoyens, de même que la lutte contre les inégalités par la redistribution des richesses ne sont pas des moindres. »

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