Quelle réforme fiscale de justice sociale faut-il engager ?

Christiane Marty Fondation Copernic, coordinatrice d’ Un impôt juste pour une société juste, Alexandre Derigny CGT Finances et Jean-Marc Durand économiste PCF. Entretien publié dans le journal l’Humanité du 9 octobre 2014.
http://www.humanite.fr/quelle-reforme-fiscale-de-justice-sociale-faut-il-engager-554141

L’objectif est d’établir une progressivité d’ensemble par Christiane Marty Fondation Copernic, coordinatrice d’Un impôt juste pour une société juste [1] 

Tout d’abord, une réforme fiscale suppose de se démarquer de la complainte du ras-le-bol fiscal cultivée par le discours politique. Il n’y a aucun sens à affirmer que l’impôt est trop fort si on ne met pas en regard ce qu’il sert à financer : éducation, justice, etc. Ainsi, si l’éducation était privatisée demain, la fiscalité certes baisserait, mais les dépenses d’éducation n’en disparaîtraient pas pour autant, elles seraient simplement transférées sur le budget des ménages. Le bon niveau d’impôt est donc celui qui permet de financer efficacement les dépenses publiques démocratiquement décidées. Il révèle l’ambition que se donne la société de prendre en charge collectivement les besoins sociaux et environnementaux. Il s’agit d’un choix politique.

Le rejet actuel de l’impôt tient plus au fait qu’il est injustement réparti, illisible, et que les services publics en contrepartie se dégradent. L’impôt sur le revenu (IR) est en théorie le plus juste car il est progressif : les ménages aisés contribuent proportionnellement plus que les ménages modestes. En pratique, sa progressivité ne cesse de diminuer : le nombre de tranches est passé de 13 en 1986 à 6 en 2013, et le taux supérieur de 65 % en 1982 à 45 % aujourd’hui. La suppression de la première tranche annoncée par 
M. Valls, bien qu’approuvée par l’opinion, va en réalité à l’opposé de l’équité car elle dégrade encore la progressivité et donc l’outil fiscal de redistribution.

De moins en moins progressif, mité par de nombreuses niches fiscales qui réduisent son assiette, l’IR ne fournit qu’environ 20 % des recettes de l’État. Avec moins de 3 % du PIB, il est l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. À l’inverse, la TVA, impôt injuste car il pèse plus lourdement sur les ménages modestes qui consomment l’essentiel de leurs revenus, représente la moitié des recettes fiscales de l’État ! Elle a été à nouveau augmentée en janvier dernier… Une réforme progressiste doit avoir comme objectif d’établir une progressivité d’ensemble de la fiscalité, c’est-à-dire de réduire le poids relatif des impôts indirects antiredistributifs (TVA…) et d’augmenter la part des impôts progressifs (IR, ISF) tout en renforçant leur progressivité. Les revenus du capital doivent être taxés au minimum comme ceux du travail, ce qui n’est toujours pas le cas malgré l’affichage gouvernemental. Il faut aussi élargir l’assiette imposable et donc revoir les niches fiscales, qui profitent aux plus riches.

De même pour l’impôt sur les sociétés. Il serait opportun de taxer plus fortement les bénéfices distribués sous forme de dividendes et d’harmoniser cet impôt au sein de l’Union européenne, en instaurant notamment un taux plancher. Le respect de l’égalité de traitement devant l’impôt suppose par principe une individualisation de l’IR. Le quotient familial qui se veut une prise en compte des charges familiales dans l’impôt engendre dans les faits de nombreuses injustices . Il doit être revu. Il faut cesser de vouloir faire de l’impôt un outil de politique familiale et s’en tenir au principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».

La fiscalité devrait s’en tenir à considérer les ressources financières d’une personne pour définir sa faculté de contribuer. La politique familiale s’occuperait d’apporter le soutien de la société aux familles à travers prestations et services. La fiscalité sur le patrimoine et les successions doit imposer plus fortement la détention des patrimoines et leur transmission au-delà d’un certain seuil, qui reste à débattre. Une véritable fiscalité écologique, qui gagnerait à être européenne, doit être mise en place de toute urgence. Si la fiscalité ne peut avoir réponse à tout, elle est un outil majeur pour réduire les inégalités et donner des marges de manœuvre pour financer l’action publique.

Pour une réforme globale associant les citoyens par Alexandre Derigny CGT finances

Mettre à plat la fiscalité, réformer l’impôt, très bien ! Encore faudrait-il que nous parlions tous de la même chose. Or le système fiscal est devenu au fil du temps si complexe qu’il est aujourd’hui totalement incompréhensible pour le commun des mortels. Ce qui permet à quelques « spécialistes » de confisquer un débat qui appartient pourtant aux citoyens. Combien de fois entendons-nous : « Plus de la moitié des Français ne paient pas d’impôt ! » Cette affirmation est pourtant totalement fausse. Qui ne paye pas de TVA ? En effet, l’impôt sur le revenu ne représente pas plus d’un quart des recettes fiscales de l’État. Et ce chiffre n’intègre pourtant pas le très grand nombre de taxes en tous genres qui ne figurent pas dans les recettes fiscales.

Céder à la facilité de réduire l’impôt sur le revenu, certes très visible mais aussi plus juste, n’est en aucun cas le signe d’une réforme fiscale de justice sociale. Au contraire, une réforme globale et cohérente de la fiscalité est nécessaire. Et c’est bien là où le bât blesse, car les dernières gesticulations gouvernementales portent le deuil de tout espoir de véritable réforme du système fiscal français. La suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu n’est, en effet, qu’un leurre. Elle ne touchera qu’une minorité de contribuables. Mais, surtout, elle ne simplifiera en rien le système fiscal et ne le rendra pas plus juste.

Alors la justice fiscale, parlons-en ! Bien que l’impôt sur le revenu réponde à cette notion de justice fiscale puisqu’il impose chacun en fonction de ses moyens, c’est pourtant lui qui a été victime du plus grand nombre d’attaques ces dernières décennies. Il est même en train de devenir un impôt marginal dans le paysage fiscal. Un comble ! Le taux le plus élevé d’imposition est ainsi passé de 65 % à 45 % en trente ans. Pire encore, les niches fiscales ont totalement mité ses recettes. Niches qui profitent aux plus riches puisque près des deux tiers de ces dépenses fiscales pour les particuliers sont accaparées par les 10 % les plus riches.

À l’inverse, les impôts proportionnels comme la TVA, indolores mais injustes, ont vu leur place grandir dans le paysage fiscal. Par exemple, un couple avec deux enfants percevant 1 700 euros de salaire chacun paye chaque année quatre fois plus de TVA que d’impôt sur le revenu. Ce n’est évidemment pas le cas des foyers les plus fortunés, qui ne consomment pas tous leurs revenus. Impossible également de parler de justice fiscale sans traiter de la contribution des entreprises. Les dizaines de milliards de cadeaux fiscaux qui leur sont accordés sans aucune contrepartie ne servent qu’aux rentiers et aux marchés financiers.

En aucun cas, ils ne permettent de créer de l’emploi, ni d’augmenter les salaires ou l’investissement productif. Pour sortir de cette spirale, il est nécessaire d’augmenter nettement l’impôt sur le revenu, avec plus de tranches, des taux plus élevés et une contribution de tous. Les niches fiscales devraient aussi faire l’objet d’un grand ménage. Au contraire, les taux de TVA devraient, quant à eux, baisser de manière drastique.

Du côté des entreprises, l’impôt sur les sociétés pourrait être modulé en fonction de l’usage que fait la société de ses bénéfices. Par exemple, une entreprise qui embauche, forme ses salariés, augmente leurs salaires, investit dans la recherche, les outils de production ou l’environnement devrait voir son taux baisser. À l’inverse, celle qui préfère verser des dividendes aux actionnaires doit voir son taux d’imposition sur les bénéfices augmenter. Seule une réforme globale peut créer les conditions de justice fiscale et sociale. Pour y parvenir, les citoyens doivent être associés pleinement à cette réflexion qui concerne leur contribution à la communauté.

Une alternative au mode de répartition de la richesse par Jean-Marc Durand économiste PCF

Entre 1982 et 2013, la part des recettes fiscales de l’État dans le PIB est passée de 19,5 % à 14,4 %. Les entreprises, le capital et les plus riches jouissent de 220 milliards d’allégements fiscaux et sociaux. La contrepartie : un freinage des dépenses de services publics, mortifère pour le pays, avec pour effet l’aggravation des déficits et de la dette publics. En septembre 2014, Bercy enregistre, malgré les hausses d’impôts, un trou de 6,3 milliards d’euros par rapport à 2013. L’impôt sur le revenu n’y est pour rien, au contraire : + 10 % en un an. La TVA non plus : + 3,4 % malgré une consommation atone.

Par contre, l’impôt sur les sociétés plonge de 41 % en un an, soit - 10 milliards. Un décrochage dû à la mauvaise conjoncture économique, résultat des politiques d’austérité, et aux effets du Cice. Conséquence : 3 milliards d’euros supplémentaires de déficit. Et le projet de budget 2015 creuse le même sillon. Sortir de ce cercle vicieux exige une nouvelle politique fiscale, outil de justice et d’efficacité sociales. Elle améliorerait la répartition des richesses et inciterait à un nouveau mode de leur production. Elle soutiendrait la dépense publique et, avec l’implication de la BCE dans leur financement par création monétaire, 
elle permettrait une expansion nouvelle des services publics, facteurs de demande et de progrès d’efficacité de l’offre. Cette nouvelle efficacité reposerait sur le combat contre les inégalités, la croissance financière des capitaux et les délocalisations. A contrario, elle encouragerait les comportements favorables à la croissance de l’emploi et des richesses réelles et à l’environnement.

C’est pourquoi une réforme fiscale doit être globale : fiscalité des personnes, des entreprises, du capital et de la fortune. Elle s’incarnerait dans :

  • une réforme de l’impôt sur le revenu. Son assiette intégrerait à l’identique les revenus du travail et du capital, en supprimant le crédit d’impôt attaché aux revenus de capitaux mobiliers et des niches (investissements DOM-TOM). Cet impôt serait rebâti : nouvelle progressivité sur une douzaine de tranches, un seuil d’imposition fixé au Smic, un taux sommital de 65 %. Sa progressivité s’accélérerait au-delà de 45 000 euros par an ;
  • un impôt sur les sociétés repensé. Cœur du nouveau dispositif fiscal, il serait relevé, progressif et modulé. Relevé car ses taux iraient de 30 % à 50 %. Progressif car entre 30 % et 50 % des tranches seraient fixées en fonction du résultat des entreprises, reflet de leur situation. Modulé car l’impôt dû serait établi en fonction de l’utilisation des bénéfices en faveur de l’emploi, de la formation et de critères écologiques ;
  • un impôt territorial des entreprises. Nouvel impôt sur le capital, il serait calculé sur les biens d’équipement (mobiliers et immobiliers) et soumettrait à un taux de 0,5 % les actifs financiers des sociétés et des banques ;
  • un impôt sur les grandes fortunes au barème relevé et à l’assiette élargie aux biens professionnels en les modulant selon que les entreprises augmentent ou non l’emploi et la masse salariale ;
  • une réduction de la part des prélèvements indirects, notamment de la TVA qui, avec la TIPP, représente 60 % des recettes fiscales de l’État. Il s’agirait dans un premier temps d’instaurer un taux 0 pour les biens de première nécessité (pain, lait, eau…) et un taux réduit (biens de consommation courante et accès à la culture) ;
  • une réforme de la fiscalité locale des personnes à partir d’une révision effective des bases d’imposition jamais obtenue depuis 1970 et d’un plafonnement de la taxe d’habitation en fonction des revenus des ménages.

La nécessité d’une réforme fiscale pour ouvrir une alternative au mode actuel de répartition et d’utilisation de la richesse ne doit pas obérer l’enjeu majeur d’une autre politique du crédit comme atout décisif d’une relance économique saine et donc de l’élargissement de l’assiette des prélèvements fiscaux… et sociaux.

Notes

[1Éditions Syllepse, 2014

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