Les syndicats et le patronat d’accord contre le prélèvement à la source

Réticents à la mise en œuvre de la réforme au 1er janvier 2019, les partenaires sociaux, d’ordinaire opposés, se retrouvent pour pointer les dangers de ses effets psychologiques sur la consommation et la croissance.

Article publié sur liberation.fr

Rarement d’accord sur les grands chantiers de réformes à mener, le patronat et les syndicats le sont au moins sur un point : la mise en place du prélèvement à la source, décidé par François Hollande et toujours prévu officiellement au 1er janvier 2019 malgré la multiplication des signes de flottement, n’enchante guère les partenaires sociaux. Une opposition plus ou moins virulente et frontale, au nom de préoccupations jusqu’ici plutôt éloignées mais qui se rapprochent sur l’impact psychologique qu’aura la mesure sur la fiche de paye des salariés.

« Couacs et risques de fraudes »

Du côté syndical, la note de la direction générale des finances publiques (DGFIP) révélée par le Parisien dimanche et qui fait état d’un nombre très important d’erreurs et de couacs, de surcroît très irréguliers d’un mois sur l’autre, a réveillé l’hostilité de syndicats de Bercy à la réforme selon lesquels la mensualisation des prélèvements, de plus en plus répandue, permet déjà de simplifier le système pour ceux qui le souhaitent. Selon Alexandre Derigny, de la CGT Finances publiques, « on est au-devant de toute une série de problèmes qui sont pour certains sans solution ». Les syndicats n’ont pas caché leur surprise après la publication de la note dont ils n’étaient pas au courant. « Lorsque nous soulevions la question informatique, on nous a toujours répondu que tout était sous contrôle et maîtrisé », explique Anne Guyot de Solidaires finances, première organisation à la DGFIP, un secteur de la fonction publique traditionnellement assez syndiqué.

« La question informatique c’est le plus gros problème depuis le début. Le prélèvement à la source, ce sont plusieurs systèmes d’information qui doivent coexister, vu la taille, il va forcément il y avoir des bugs », renchérit Olivier Vadebout, secrétaire général CGT Finances Publiques. Pour Pascal Pavageau, le nouveau numéro un de Force ouvrière, ces difficultés révélées par la note du fisc, sont aussi la conséquence de la politique de réduction des effectifs de fonctionnaires de Bercy, une des administrations les plus touchées ces dernières années par le non-renouvellement de personnels partant en retraite. « Avoir supprimé des effectifs par milliers dans l’ensemble des administrations des finances publiques conduit aussi à […] un principe de réalité sur lequel se heurte aujourd’hui le président de la République, qui est qu’ils sont dans l’incapacité technique de le faire sans bug », a argumenté le secrétaire général de FO. Faire reposer le prélèvement sur les entreprises va générer « énormément de couacs, potentiellement des risques en matière de fraude ou autre. Nous avons même fait la démonstration qu’avec le prélèvement à la source, il y aura une baisse de rentrées fiscales pour les recettes publiques d’une manière générale », poursuit-il, en s’interrogeant sur l’intérêt de « casser l’efficience de notre système d’impôt sur le revenu, qui est sans doute l’un des meilleurs » en Europe.

Outre l’« impact psychologique » sur les citoyens dont s’inquiète également le Medef, Pascal Pavageau a aussi alerté sur les répercussions de cette mesure « sur l’économie en termes immédiats de consommation et donc de croissance ».

« Problème psychologique »

Un argument qu’a repris le nouveau patron du Medef Geoffroy Roux de Bezieux dans une interview parue ce lundi dans les Echos. « J’ai été le premier à soulever le problème psychologique que cela poserait pour le salarié qui verrait sa feuille de paye de janvier entamée de son impôt sur le revenu », explique-t-il, bien conscient que cet argument du ressenti des employés des entreprises est un des points les plus sensibles pour le gouvernement et risque de cristalliser les mécontentements. « Sur le plan technique, il y aura des bugs, mais c’est l’effet psychologique qui est le plus préoccupant. Le marketing de la feuille de paye l’an prochain sera compliqué. »

Moins braqué que ne l’avait été son prédécesseur Pierre Gattaz sur ce sujet, Geoffroy Roux de Bezieux n’ignore pas que les arguments martelés ces dernières années par le Medef sur cette réforme serpent de mer (synonyme de coûts supplémentaires pour les entreprises avec un risque de contentieux accru avec les salariés, etc.) ont en partie été entendus. Le gouvernement a écarté pour ces dernières le risque de poursuites pénales en cas de manquement à la confidentialité des données fiscales des salariés. Il a aussi décidé que les entreprises de moins de 20 salariés qui utilisent le Titre emploi service entreprise (TESE), un système proche du chèque emploi service des particuliers, et qui n’éditent pas elles-mêmes leurs fiches de paye n’auront pas à se préoccuper du prélèvement à la source. Le système sera calculé et géré par l’administration. Des assouplissements qui ont néanmoins renforcé certains patrons, surtout dans les PME, dans leur méfiance vis-à-vis de ce nouveau système : ils y voient la preuve que le gouvernement ne maîtrise pas son sujet aussi bien qu’il le dit et que d’autres problèmes non anticipés vont surgir, dont ils feront les frais.

Interrogé en 2016 sur l’antenne d’Europe 1, celui qui n’était alors que numéro 2 du Medef avait indiqué qu’il n’était pas « hostile au principe » du prélèvement à la source mais recommandait de le décaler d’une année, au 1er janvier 2019, ce qui a été fait. Jamais à court d’idées pour suggérer de nouvelles mesures de soutien de l’Etat aux entreprises, Geoffroy Roux de Bézieux estimait alors que puisque « l’on met une charge supplémentaire aux entreprises, sans aucune économie en échange », le gouvernement pourrait les rétribuer. « En Suisse, faisait-il alors remarquer, les entreprises sont rémunérées pour effectuer le prélèvement à la source. »

60% des Français favorables

S’il semble toujours opposé à faire des entreprises le collecteur de nos impôts et continue d’afficher sa préférence pour un statu quo, le patron du Medef promet néanmoins que les entreprises ne feront pas d’obstruction au nouveau système. « Si le gouvernement décide d’y aller, conclut-il, les entreprises feront leurs efforts pour que ça marche. Maintenant, il faut vite trancher ! »

Les principaux intéressés, eux, semblent davantage prêts à franchir le pas : selon un sondage Ifop publié par le Journal du dimanche (JDD), 60 % des Français interrogés sont favorables au prélèvement à source contre 39 % hostiles. Un chiffre sensiblement stable depuis deux ans : en juin 2016, 65 % des Français se déclaraient déjà favorables à la réforme. Qui a dit que les Gaulois étaient d’indécrottables réfractaires au changement ?

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