Quel pôle financier public ?

Colloque organisé par l’association Promouvoir les services publics au Sénat le 14 février 2002 sur l’avenir de La Poste.

L’association Promouvoir les services publics, présidée par le sénateur Gérard Delfau, a organisé le 14 février au Sénat un colloque sur le thème « Comment refonder le service public postal de proximité ». Nous reproduisons l’intervention de Pierre-Yves
Chanu, au nom de l’intersyndicale du secteur semi-public, lors de la table ronde consacrée au thème : Quel pôle financier public ?

On entend dire ici ou là que la création d’Eulia concrétisant l’alliance entre la
Caisse des dépôts et les Caisses d’épargne matérialiserait le pôle financier public. Au risque d’être un peu brutal, je tiens à dire qu’il y a là un véritable détournement de vocabulaire.

Eulia est très précisément le contraire du pôle financier public pour lequel notre intersyndicale lutte depuis maintenant 7 ans. L’expression pôle financier public est apparue relativement récemment dans le débat politique. Je voudrais en faire la généalogie.

L’idée d’un pôle financier public a d’abord été une revendication de notre intersyndicale. Il a été employé pour la première fois par le ministre de l’Economie et des Finances Dominique Strauss-Kahn lors du débat à l’Assemblée nationale de février 1999 sur l’avenir du système bancaire et financier français, puis à l’occasion
des débats sur la réforme des Caisses d’épargne au printemps 1999.

C’est donc d’abord sous la pression des luttes dans notre secteur que l’idée d’un pôle financier public est apparue dans le débat national.

Même si nous sommes loin d’avoir été totalement satisfaits par ces textes, cette idée a trouvé un commencement de concrétisation législative. L’article 1 de la loi du 25 juin 1999, qui transforme les Caisses d’épargne en réseau coopératif, réforme à laquelle nous nous sommes fermement opposés, et l’article 143 de la loi sur les nouvelles régulations économiques de mai 2000, consécutif à la filialisation des activités financières de la Caisse des dépôts définissent en des termes tout à fait similaires les missions d’intérêt général des Caisses d’épargne et de la Caisse des dépôts. Du groupe Caisse des dépôts dans son ensemble, donc y compris par exemple CDC-Ixis ou la CNP.

Mais le problème est que la Caisse des dépôts comme les Caisses d’épargne s’assoient sur ces textes législatifs et font dans la pratique exactement le contraire.

Pour illustrer cette affirmation, il n’y a sans doute pas de meilleur exemple que la question dite du dividende social des Caisses d’épargne. L’esprit de la loi (et ceci est attesté tant par l’exposé des motifs que par les débats parlementaires), c’était que
le résultat des Caisses d’épargne devait être partagé en 3 tiers à peu près équivalents : 1/3 mis en réserves, 1/3 distribué aux sociétaires et 1/3 pour ce dividende social.

Mais dans la pratique, et en s’appuyant sur les imprécisions de la loi, la direction
des Caisses d’épargne a donné l’instruction de limiter au minimum possible le dividende social, au motif qu’il serait difficile sinon de résister à la concurrence des autres réseaux mutualistes ou coopératifs.

Quant à la création d’Eulia, elle tourne clairement le dos à l’idée d’un pôle public au service de l’intérêt général.

Comme l’a déclaré le Directeur général de la CDC Daniel Lebègue lors de l’annonce du projet, l’objectif est de faire du business ! Ce projet n’a rien à voir avec un pôle financier public, il s’agit de construire un groupe financier de taille européenne voire mondiale s’inscrivant dans la globalisation financière, et recherchant la création d’un maximum de valeur actionnariale. C’est bien le contraire d’un pôle financier public.

Et le tout, il est essentiel de le souligner en catimini, sans aucun contrôle du Parlement, chargé de par son statut institutif du contrôle de la CDC.

Faut-il pour autant considérer la bataille pour un pôle financier public comme perdue ?

Pour ma part et contrairement à d’autres intervenants, je ne le crois pas. Et ce d’abord parce que les personnels, du secteur semi-public comme de La Poste refusent ces évolutions et se mobilisent pour une perspective différente.

Je crois profondément à la perspective d’un pôle financier public au service de l’intérêt général. Il est évident que les besoins existants en matière de logement social sont l’une des justifications majeures d’un pôle financier public.

Mais aussi fondamentale que soit cette question, ce n’est pas la seule justification d’un pôle financier public.

Je voudrais saluer les récentes déclarations de Daniel Lebègue sur le développement durable : « le développement durable sera le grand enjeu du 21e siècle » [1]. Mais seul un pôle financier public authentique peut y répondre.

Oui, le pôle financier public peut répondre aux besoins en termes de formation, de qualification de la force de travail, d’aide à l’innovation, notamment dans le cadre des territoires.

Il faut aussi développer les infrastructures notamment ferroviaires, alors qu’ainsi que le montre le rapport très sévère du Conseil supérieur du service public ferroviaire le matériel de la SNCF a en moyenne une ancienneté de près de 35 ans, c’est-à-dire a été construit au moment du remplacement des locomotives à vapeur ! Et l’endettement de la SNCF empêche le développement de l’entreprise. Le secteur financier public ne peut-il, pas répondre à ces besoins de financement ?

Enfin, il pourrait jouer un rôle dans le développement des NTIC. Un rapprochement de la CDC, des Caisses d’épargne, des autres institutions financières publiques et de La Poste, dans le cadre d’un pôle financier public, est non seulement possible, mais il est indispensable, et soutenu par les personnels de nos institutions.

Mais il doit se faire sur une logique citoyenne, et non capitalistique. La CDC et les Caisses d’épargne travaillent ensemble depuis 1837 ; la CDC et La Poste depuis 1881. Sans alliance en capital, sans recherche de création de valeur actionnariale. C’est ce modèle qui est moderne, c’est ce projet qui correspond aux besoins d’une efficacité économique et sociale pour le 21e siècle.

Notes

[1Le Nouvel économiste 8 février 2002

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