Une autre Europe est-elle possible ?

La réponse est clairement oui. Le pessimisme du constat que nous faisons de l’Europe actuelle ne doit pas entraver l’optimisme de la volonté de bâtir une autre Europe, d’autant que cette dimension est nécessaire pour répondre aux besoins et aux aspirations des populations, contrer l’offensive libérale et faire face aux défis économiques, sociaux et environnementaux de la période. Mais il est tout aussi évident que notre stratégie doit être redéfinie à la lumière des évolutions récentes et de ce qu’elles révèlent du terrain sur lequel nous nous battons et des stratégies de nos adversaires.

Il faut d’abord éviter de tomber dans le piège du nationalisme. Si les États demeurent des espaces pertinents, notamment pour impulser des mobilisations et développer des politiques alternatives, celles-ci doivent s’inscrire dans une perspective européenne pour être réellement crédibles et efficaces à moyen et long terme.

Un repli nationaliste pourrait certes donner l’illusion d’un regain de souveraineté mais, outre que celui-ci serait de courte durée face au pouvoir mondialisé de la finance et des multinationales, il ouvrirait la voie aux réflexes xénophobes et à la mise en opposition des peuples entre eux. Une telle évolution serait mortifère – l’histoire du continent européen est là pour en témoigner – et seule l’oligarchie financière en sortirait gagnante.

Notre ennemi c’est la finance et c’est à l’aune de cet objectif que nous devons trouver les articulations efficaces entre les niveaux nationaux et européen. La question n’est donc pas tant de sortir de l’Union européenne que d’en finir avec elle en tant qu’organisation institutionnelle de l’espace européen au service de la finance et des grandes entreprises, afin de rebâtir une maison commune européenne qui réponde aux intérêts et aux choix des peuples. Cela ne se fera bien sûr pas sans crises, ni de façon homogène et linéaire.

Cela impliquera que certains pays, sur la base des choix de leurs citoyens, décident de désobéir aux injonctions de l’UE et prennent des mesures unilatérales pour mettre en œuvre des politiques alternatives. Celles-ci devront toutefois être calibrées pour ne pas porter atteinte aux intérêts des autres peuples et être accompagnées au contraire d’une réelle recherche de solidarité. Ainsi peut-on espérer que prendra corps progressivement un projet partagé en même temps que se construiront les mobilisations communes nécessaires.

Dans cette perspective, la question d’une sortie de l’euro devient secondaire. Si tant est que la monnaie unique ait encore un avenir et n’implose pas d’elle-même, cette option ne doit pas être écartée mais incluse dans le cadre d’une stratégie de désobéissance vis-à-vis de l’UE. Et sur ce point, celle-ci peut prendre de multiples formes : contrôle des capitaux, mise en place d’une monnaie complémentaire, réappropriation de la banque centrale nationale… Une telle rupture n’est bien sûr envisageable que si elle est portée par une forte mobilisation sociale et politique. C’est la responsabilité des organisations politiques de créer les conditions de son émergence. Mais le mouvement social, et notamment le mouvement syndical, a un rôle essentiel à jouer.

Principales victimes de l’Europe actuelle, les travailleurs doivent être des acteurs majeurs de sa refondation, d’autant qu’ils constituent la principale force capable de mobilisation. Cela suppose toutefois que les syndicats s’inscrivent dans cette perspective et soient porteurs d’un réel projet pour une autre Europe. Or cela n’est pas simple. La violence des attaques portées contre les travailleurs les conduit naturellement à privilégier leur défense dans le cadre institutionnel actuel de l’Europe, en négligeant le second volet de leur double besogne, la transformation de ce cadre.

Dans un contexte marqué par un certain fatalisme et la résignation du monde du travail, l’efficacité commande pourtant d’aller au-delà du combat défensif et de mettre en avant des revendications qui à la fois répondent aux besoins, rassemblent les travailleurs à l’échelle européenne et s’en prennent à la logique même de l’Union, tout en renforçant et en élargissant les droits des travailleurs afin qu’ils reprennent la main sur leur destin. Si les syndicats veulent être crédibles et en capacité de mobiliser les travailleurs, il ne leur suffit plus de dénoncer l’austérité et de prôner une Europe sociale ; il faut qu’ils proposent de mettre à bas les institutions qui imposent la première et interdisent la seconde afin de pouvoir en bâtir de nouvelles, basées sur la solidarité et la coopération.

On peut comprendre qu’une telle démarche soit difficile pour le mouvement syndical européen car elle implique qu’il rompe avec un tropisme européen qui lui a longtemps fait prendre pour un retard conjoncturel une absence de dimension sociale qui s’avère en fait structurelle. Il ne doit évidemment pas renoncer à l’Europe mais, au contraire, prendre appui sur sa légitimité européenne incontestable pour en proposer une autre vision et inscrire clairement son action dans la perspective de sa reconstruction.

Il y a urgence à ouvrir ce débat. Le congrès de la CES (Confédération européenne des syndicats) cet automne à Paris pourrait et devrait en être l’occasion.

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