CCRF : Lettre ouverte au Ministre de l’Économie des Finances et de l’Industrie

Monsieur le Ministre,

Suite à notre entretien, en date du 1er février, nous vous adressons une lettre ouverte sur les réformes en cours à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

Dès son arrivée à la tête de la DGCCRF, en tant que Directeur Général, M. Guillaume Cerutti a initié une réforme visant à la régionalisation de ses services déconcentrés.

Les contenus et les finalités de ce projet sont extrêmement régressifs car son adoption éventuelle aboutirait à une réduction de la capacité d’intervention de la DGCCRF sur le terrain pour deux raisons principales : une perte d’efficacité, et un risque de démantèlement des Directions Départementales.

Perte d’efficacité du service et détérioration du service public :

Outre l’autorité hiérarchique donnée aux directeurs régionaux sur tous les agents de leur région, la réforme prévoit également la spécialisation d’agents qui deviendraient des « spécialistes régionaux ».

Les missions confiées à ces spécialistes seraient déterminées sur la base du principe de subsidiarité, ce qui ne peut qu’entraîner des disparités dans l’exercice des missions de la DGCCRF sur l’ensemble du territoire national.

De plus, ces agents devraient intervenir sur un territoire beaucoup plus étendu qu’à l’heure actuelle, une bonne part de leur temps de travail serait dès lors consacrée aux déplacements, au détriment du temps effectif d’enquête.

Par ailleurs, des missions seraient transférées à la région, comme la gestion du contentieux civil et pénal, qui constitue un des principaux moyens d’action de cette administration. Ce transfert ne ferait qu’alourdir le processus de traitement d’une affaire. En effet, le ou les agents du contentieux, qui garantissent la qualité juridique du dossier, seraient éloignés de beaucoup d’enquêteurs de terrain.

De plus, les responsables du contentieux s’éloigneraient également de plusieurs des parquets de leur région. Or la grande majorité des enquêtes de la DGCCRF nécessitent la mise en oeuvre de pouvoirs de police judiciaire et sont donc menées sous l’autorité des procureurs.

Certains responsables d’unités disposant d’effectifs très faibles ont déjà émis l’idée de transférer l’accueil du public au niveau de la direction régionale. Il s’agirait d’une détérioration du service rendu à la population.

Pour la CGT, il est indispensable de conserver une administration de proximité pour répondre notamment au besoin de protection des consommateurs les plus défavorisés.

Risque de démantèlement des Directions Départementales :

La réforme visant à la régionalisation de la DGCCRF, voulue par M. Cerutti, se matérialise par le projet de décret relatif aux services déconcentrés. La formulation actuelle de son article 1er : « les services déconcentrés de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont organisés en directions régionales, qui comprennent les directions départementales » laisse la porte ouverte à des fermetures de directions départementales.

Invoquant des problèmes juridiques au niveau du conseil d’état, M. Cerutti se refuse à reformuler ce texte en précisant qu’il existe une direction de la CCRF dans chaque département. Or les textes d’organisation d’autres services déconcentrés de l’état prévoient explicitement l’existence d’une direction dans chaque département (travail, emploi et formation professionnelle, décret n° 94-169 du 25 février 1994, ou encore jeunesse et sports, décret n° 94-1166 du 28 décembre 1994).

Dans ces conditions, le refus renouvelé d’inscrire dans le décret l’implantation d’une direction de la CCRF dans chaque département ne pourrait être compris que comme une volonté inavouée de suppression de certaines d’entre elles.

Par ailleurs, environ 40 % des Directions Départementales de la DCCRF ont aujourd’hui un effectif inférieur à 20 agents, l’effectif minimum étant théoriquement de 12 agents. Dans les faits, compte tenu notamment des agents à temps partiels ou en CPA, certaines d’entres elles fonctionnent avec moins de 10 agents en équivalent temps plein !

D’ores et déjà, certaines unités ne disposent plus des 12 agents affectés, contrairement aux engagements pris en CTP en 2002. Lors d’une réunion avec les organisations syndicales de la DGCCRF, le 8 février dernier, M. Cerutti a simplement indiqué qu’il considérait ce chiffre de 12 comme un objectif à atteindre...

Tout confirme la fragilité actuelle de la pérennité des Directions Départementales. En effet, l’application de la réforme envisagée reviendrait inévitablement à réduire encore les effectifs notamment dans les unités dont les effectifs implantés sont tout juste supérieurs à 12. Il convient ici de préciser qu’en 2002, les organisations syndicales avaient souligné la nécessité de maintenir, a minima, à 14 l’effectif implanté pour pouvoir assurer les missions de service public de la DGCCRF.

La mise en place de la réforme telle qu’elle est proposée signifierait la mise à disposition de la région de certains agents affectés dans des départements à faible effectif. M. Cerutti a en effet précisé que les spécialistes régionaux pourraient rester affectés dans un département distinct de celui où se trouve la préfecture de région, tout en remplissant leur mission sur l’ensemble du territoire régional.

Dans le même temps, dans le cadre de la réforme de l’Etat, une circulaire du 1er Ministre du 16 novembre 2004, autorise les Préfets de départements à créer des Missions Inter Services de Sécurité Alimentaire (MISSA), sans préciser le statut juridique de cette entité. Ce terme ne figure pas dans le Décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 qui prévoit des Délégations InterServices (DIS) et des pôles de compétence. Actuellement, des pôles fonctionnent dans de nombreux départements, regroupant des agents de la DDASS, de la DSV et de la DGCCRF.

L’absence de définition juridique des MISSA pourrait permettre à certains préfets de les organiser sous forme de DIS, dont le responsable peut être ordonnateur secondaire délégué des crédits. Cela reviendrait à un véritable dépeçage des Directions Départementales, en leur enlevant un domaine d’activité qui occupe jusqu’à la moitié des agents dans certains départements.

La régionalisation de la DGCCRF n’est pas un rempart contre la création de DIS, puisque ce pouvoir est donné par l’article 29 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 aux préfets de départements qui, selon l’article 18 du même décret, ont « autorité sur un chef de service déconcentré des administrations civiles de l’Etat, dont l’action s’étend au-delà du département et présente, en tout ou partie, un caractère interdépartemental, pour la part de son activité qui s’exerce dans les limites du département. »

La conjonction des deux processus, « régionalisation » de certains agents spécialisés et placement d’agents sous l’autorité d’un Délégué InterServices extérieur à la DGCCRF, aboutirait à une impossibilité totale pour une Direction Départementale d’assurer toutes ses missions.

Celle concernant la protection économique des consommateurs serait définitivement remiseen cause, alors que la DGCCRF est la seule administration à contrôler le respect de nombreuses dispositions du code de la consommation. L’affaiblissement des implantations territoriales ne peut aussi que générer des inquiétudes sur la pérennité des laboratoires de la DGCCRF, alors même que ces derniers participent directement de l’exercice de ses missions, et qu’à ce titre, ils doivent y rester structurellement rattachés.

Enfin, cette réforme mise en oeuvre en même temps que la LOLF aurait des conséquences néfastes sur la gestion du personnel de la DGCCRF. L’exploitation de la fongibilité asymétrique des crédits au niveau des BOP dans les inter-régions, empêchera toute visibilité sur les possibilités de mutation.

Déjà, et alors même que vous nous avez assuré du maintien des secteurs de Bayonne, Brest, Boulogne et Roanne, l’absence d’effectif implanté dans ces unités aboutit à une totale opacité dans l’exploitation des tableaux de mutation, préjudiciable à tous les agents inscrits au tableau et à l’action des élus en CAP. Un agent souhaitant être muté sur ces implantations, ne peut faire acte de candidature que pour le département concerné, le Directeur départemental se chargeant de la répartition des effectifs entre la Direction et le secteur.

La multiplication de postes « à profil » (gestionnaires dans les inter-régions, mais aussi certains spécialistes régionaux) laisse craindre une individualisation de plus en plus forte des carrières, orientation néfaste et contraire à l’esprit du statut de la fonction publique.

Pour la CGT, toute réforme doit partir des besoins sociaux à satisfaire, et non pas essayer d’adapter le fonctionnement de l’administration à la pénurie de personnel provoquée et organisée par les décisions gouvernementales.

La DGCCRF doit pouvoir continuer à remplir l’ensemble de ses missions, telles qu’elles sont décrites dans l’Instruction Générale du 13 décembre 2001, sur tout le territoire national.

Pour permettre une réelle application du droit de la concurrence, mais aussi pour assurer laprotection économique du consommateur, la DGCCRF a surtout besoin de moyens :

  • structurels : maintien d’un réseau de directions départementales, renforcées pour les plus petites d’entre elles, afin de répondre au besoin d’accueil de proximité des consommateurs, avec des agents affectés et travaillant dans le département.
  • budgétaires : effectifs et crédits suffisants pour mener à bien toutes les missions énumérées dans l’Instruction Générale sur les missions.
  • juridiques : un groupe de travail rassemblant des membres de l’administration et des Organisations Syndicales avait abouti à une proposition d’harmonisation et de simplification des procédures et des pouvoirs d’enquête des agents, pour le moment très divers suivant les textes à appliquer. Cela aurait réduit l’insécurité juridique que ressentent les agents dans leur travail. Ce rapport n’a pas été suivi d’effets, hormis quelques harmonisations très partielles.
  • de conservation et de développement des compétences des personnels, accompagnés de garanties de gestion de leur carrière, de leur mobilité, de manière égale dans l’ensemble des unités.

Nous vous demandons donc de ne pas mettre en oeuvre la réforme envisagée et d’ouvrir de véritables négociations sur la base de nos propositions et revendications.

Restant à votre disposition, Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos salutations distinguées.

Pour la Fédération des Finances CGT, Thierry Bonhoure, Jean-Louis Grégoire et Christophe Delecourt.

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