La véritable portée des discours ministériels

Le CTPM qui s’est tenu le 7.10.2002 marque un tournant pour l’avenir du MINEFI. La présentation, lors de ce CTPM, d’une part du budget 2003 du MINEFI par M. LAMBERT, d’autre part, du « processus durable et vigoureux de changement de notre administration » par M. MER fournit les éléments permettant d’apprécier la nature et l’ampleur de ce tournant. La façon dont les choses ont été présentées au CTPM n’est pas innocente. Il y a bien un « jeu » de répartition des rôles : au ministre délégué au budget la charge de présenter le budget 2003 du MINEFI, au Ministre de l’économie et des finances la responsabilité du cadrage politique général. Avec la volonté de renforcer le découplage entre l’austérité budgétaire et la mise en mouvement du ministère pour en « renforcer l’efficacité ».

Le budget 2003

S’agissant du budget 2003 du MINEFI, les éléments chiffrés sont connus : des suppressions d’emplois et des crédits de fonctionnement majorés d’un taux inférieur à celui de l’inflation (sauf pour COPERNIC : + 60 % !).

Dans ses commentaires, M. LAMBERT s’emploie à justifier son budget, l’argumentaire n’a rien d’original. On a droit successivement au contexte de « ralentissement de l’économie mondiale », aux « charges héritées » du gouvernement précédant, à la priorité donnée à la « sécurité de nos concitoyens ».

Sans surprise non plus l’affirmation [bien évidemment non démontrée] selon laquelle « accroître le poids des charges publiques » serait « à l’évidence (sic !) contre productif ».

Bref, si l’on supprime des emplois, c’est vraiment parce qu’on ne peut pas faire autrement, la preuve, c’est que « nous n’avons pas sur ce sujet (...) une approche dogmatique » et ce n’est pas un « objectif en soi ».

En plus, les gains de productivité constatés au ministère sont tels que les taux de réduction des emplois est largement inférieur et se situe « à un niveau très raisonnable ».

Bien évidemment, la RTT mise en place au 01.01.2002 n’est pas évoquée. Sur les crédits de fonctionnement, rien de particulier, sauf pour s’autoféliciter pour le « réel effort pour une amélioration concrète et visible rapidement du cadre de vie des agents »(?)

On a là le discours type tentant de justifier l’injustifiable et bien appuyé sur le dogme ultra-libéral des dépenses publiques considérées comme un obstacle au libre marché.

Les véritables objectifs du ministre

Le ministre, déchargé des vulgaires questions d’intendance qui peuvent fâcher, peut alors engager son opération de camouflage idéologique. L’objectif est ambitieux : tenter de démontrer que les décisions annoncées, les orientations tracées ne relèvent pas d’un choix idéologique et politique, mais répondent à des attentes en se référant au bon sens, voire à l’évidence.

Pourtant, le choix idéologique et politique qui anime le discours du ministre transparaît dans quelques phrases clé et des mots soigneusement évités.

Pour le contexte général, on a droit à une formule : « le monde évolue (...), nous devons être dans ce mouvement. » Le ministre se garde bien de préciser la nature de l’évolution du dit monde et encore moins le sens de cette évolution. Mais cela lui permet de s’autoproclamer membre du parti favorable au mouvement et, par conséquent, de classer ceux qui se déclareraient hostiles aux décisions prises dans le clan des partisans de l’immobilisme.

Selon le ministre, pas de référence idéologique, mais des principes au nombre de quatre : « la sincérité, le dialogue, le pragmatisme et le partage des fruits de l’effort collectif ». Le pragmatisme est donc un principe essentiel sur lequel il va s’appuyer pour mettre « notre ministère en mouvement ».

Mais c’est quoi exactement le pragmatisme ? Le « Petit Larousse » en donne la définition suivante : « Doctrine qui prend pour critère de la vérité la valeur pratique, considérant qu’il n’y a pas de vérité absolue et que n’est vrai que ce qui réussit. Le pragmatisme a exercé une influence majeure aux Etats-Unis. »

M. MER s’inspire donc d’une doctrine, très en vogue aux Etats-Unis, selon laquelle « n’est vrai que ce qui réussit ». Reste à discuter sur ce qu’on considère comme étant une réussite, par rapport à quoi ? Au bénéfice de qui ?

Brève illustration

Dans le monde aujourd’hui, les entreprises multinationales se donnent comme objectif un profit maximum dans un minimum de temps et y parviennent. Certes, c’est une réussite pour quelques dizaines de milliers d’actionnaires. En est-ce une pour des milliers de victimes du sida chaque jour en Afrique qui ne peuvent se payer les médicaments existants au nom du profit à réaliser sur la vente de ceux-ci ?

Est-ce une réussite pour des millions de chômeurs en Europe ? La pragmatisme est un cache-sexe idéologique pour les partisans de l’ultra-libéralisme. Les deux autres phrases clé du discours ministériel montrent bien que la démarche est politique. Citons la première : « Nos différentes missions seront clairement identifiées. Celles qui relèvent plus spécifiquement du coeur de notre action doivent être mise en avant. D’autres doivent être redéfinies ou exercées autrement. Ce travail permettra de mobiliser notre énergie sur l’essentiel ».

La formule « coeur de notre action » est la déclinaison diplomatique du fameux « coeur de métier » largement utilisé par le patronat dans le secteur privé pour désigner l’activité susceptible de dégager le maximum de profit, les autres activités étant alors externalisées, c’est à dire abandonnées.

Car enfin, quel sens donner à « mobiliser notre énergie sur l’essentiel », sinon celui d’assurer les seules missions qu’on classera dans la rubrique « coeur de notre action » ?

Sur ce point, deux observations s’imposent.

D’abord, les « missions » dont il est question, sont celles que la représentation nationale (Assemblée nationale et Sénat) a décidé [en votant les lois] de confier au MINEFI. Il n’appartient à personne ni à un ministre, ni aux technocrates de Bercy d’opérer un tri entre les missions conférées, sauf à considérer que les lois de la République sont d’application à géométrie variable.

Ensuite, l’exercice de recensement des missions n’a de sens que s’il s’accompagne du même exercice sur les moyens nécessaires pour les assurer sans préjuger de la hauteur des dits moyens.

Or le budget 2003 du ministère réduit les moyens sans jamais se référer aux missions. Si le ministre se garde bien de d’aborder la question de l’articulation « missions/moyens », ses directeurs généraux d’administration s’en chargent en annonçant une nouvelle regression des moyens pour 2004.

Seconde phrase clé : « nous devons tous passer d’une culture de procédures à une culture de résultats ». Après avoir proclamé que ses décisions « ne relèvent pas d’une construction théorique », le ministre invite tranquillement à un changement de culture. La formule ministérielle sonne presque comme un slogan publicitaire, mais l’auteur se garde bien de l’expliciter.

Cela veut dire quoi : « une culture de procédures » ? Faut-il ignorer [pour gagner en efficacité de résultats] les procédures protégeant les droits du contribuable vérifié ? Faut-il [pour gagner du temps] rejeter, sans l’examiner, une demande gracieuse de dégrèvement d’impôt formulée par une famille en difficulté ? Faut-il ne pas appliquer des dispositions législatives et réglementaires jugées trop contraignantes ?

Cela veut dire quoi « une culture de résultats » ? L’accomplissement des missions se traduit évidemment par des résultats, cependant ceux-ci pour une bonne part ne peuvent faire l’objet d’une seule mesure quantitative. Un dégrèvement gracieux d’impôt accordé, c’est un résultat quantitatif négatif : on baisse le volume des impôts encaissés.

C’est aussi une décision qui produit des effets sociaux inquantifiables et dont on ne retrouvera nulle trace dans un document produit selon les normes de la comptabilité commerciale. Tout simplement parce qu’accomplir une mission n’est ni acte commercial, ni une procédure industrielle, nous sommes hors de la sphère marchande.

Et pourtant... Parmi les dispositions annoncées dans le cadre de la promotion de la « culture des résultats », on trouve celles consistant à « évaluer certaines chaînes de traitement ». Le ministre a décidé de constituer à cet effet une équipe dans laquelle il y aura les « différents corps de contrôle » (dont certainement l’Inspection des finances), mais aussi des « spécialistes du traitement de ces problèmes dans les organisations économiques du monde marchand. » Cette équipe devra proposer « les outils et la méthode à mettre en place pour que, par la suite, ce type d’analyse devienne systématique ».

Ainsi, on se déclare pragmatique, débarrassé de toute « construction théorique », libéré de toute « approche dogmatique ». Et à ce titre, on fait appel aux experts qui portent bien leur surnom de « tueurs de coûts », en fait, les champions du mode de gestion anglo-saxon dans les entreprises.

Comme si le modèle de gestion des entreprises privées était une référence indépassable. On terminera la lecture du message ministériel en y relevant l’absence ou laquasi absence de mots qui doivent être tabous.

Sur un texte de onze feuillets, un mot ne figure jamais, celui de « salaire ». Le mot « citoyen » y apparaît furtivement, mais une seule fois. Le mot « moyens » est cité trois fois , mais en référence à leur ... redéploiement !

Les carottes ministérielles

L’un des quatre principes affirmés par le ministre est celui du « partage des fruits de l’effort collectif ». Sur ce sujet, on nous annonce un plan de qualifications pour 2003 dont « le volume (...) sera significatif ». On nous permettra de manquer d’enthousiasme face à une telle annonce en nous référant au « plan » 2002 d’une taille plus que limitée et aux déclarations du ministre délégué au budget annonçant la rigueur budgétaire pour
2004.

Le « partage des fruits » prendrait deux autres formes.

La première consisterait à « faire bénéficier les services d’une retour en crédits lorsque des gains d’efficacité y serait réalisés ». Ainsi, les bons élèves de « la culture de résultats » seraient récompensés, quant aux autres, ils se contenteront de l’ordinaire.

La seconde forme de « partage » est en totale cohérence avec la logique ministérielle puisque M. MER tient à ouvrir une discussion sur « la prise en compte du mérite individuel dans la rémunération » en se fondant « sur les critères objectifs ». Le ministre se dit, sur ce point, persuadé que « nous trouverons des points de rencontre » si l’on s’extraie d’une « approche trop dogmatique ». Parle-t-il pour lui ?

Des enjeux importants, comment y faire face ?

Les leviers du changement sont clairement identifiés :

  1. faire le tri dans les missions ;
  2. rationaliser par des modifications de structure, par l’analyse des chaînes de traitement ;
  3. animer le fonctionnement des services sur la base d’une culture de résultats s’appuyant sur des instruments de mesure ;
  4. préparer la mise en place de la LOLF en s’inspirant du ratio coût/rendement.

L’objectif étant la diminution des moyens accordées justifiant le retrait de l’Etat. Au delà du discours sur le dialogue social, on observe que sur les cibles choisies, aucun engagement clair sur l’organisation d’une vrai discussion :
 sur les missions , le ministre secontente de dire « en liaison évidemment avec vous » ;
 sur l’analyse des chaînes de traitement, les indicateurs, rien sur l’intervention syndicale ;
 sur l’expérimentation de la LOLF, M.LAMBERT se dit prêt à « délivrer toute information utile », mais ne s’engage en rien sur une discussion avec les organisations syndicales sur le contenu de l’expérimentation, son suivi,son bilan.

Ni simple prolongement de la réforme-modernisation FABIUS, ni rupture totale avec l’antérieur, mais un véritable tournant qui apparaît à travers les objectifs affichés aux motivations politiques soigneusement camouflées. Il faut donc à la fois :
 Rappeler les revendications, attentes et besoins des personnels à propos des conditions de travail, des rémunérations, des emplois en compensation de la RTT...
 Exiger l’ouverture de véritables négociations sur les dossiers qui engagent l’avenir du ministère : la gestion prévisionnelle des emplois, les requalifications, la mise en place de la LOLF, la nécessaire rénovation du dialogue social.
 Imposer un véritable débat au sein du MINEFI et avec la population sur ce qui serait nécessaire de mettre en oeuvre pour mieux accomplir les missions confiées au MINEFI par le parlement.

De la façon la plus unitaire possible, débattons de toutes ces questions dans les services, formulons les revendications, décidons des formes d’action.

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