Mieux comprendre le réel pour le transformer

Le 21/06/2002 s’est tenue une journée d’étude à l’initiative de la Fédération des Finances CGT sur le thème : « l’évolution de l’organisation de l’Etat et des missions publiques ».

Lors de cette réunion, est intervenu Yves Salesse [1], Conseiller d’Etat, qui a procédé à un état des lieux et tracé les pistes de ce que pourrait être une transformation radicale de l’appareil d’Etat « sur la base d’un double critère : égalité sociale et démocratie ».

Le texte ci dessous reprend l’introduction à cette journée d’étude saluée par l’ensemble des participants comme un moment important et enrichissant de débat et de réflexion sur un sujet essentiel.

Au plan mondial, la poursuite des politiques ultra-libérales, la domination sans partage des multinationales et des marchés financiers génèrent un accroissement des inégalités Nord / Sud, des inégalités internes aux pays riches et font apparaître des menaces fortes sur l’avenir de l’humanité en matière d’environnement, dans le domaine des biotechniques (OGM, clonage ...).

Le récent sommet mondial contre la faim dans le monde se conclut sans engagement clair des pays les plus riches. Le principal responsable de la FAO constatant avec amertume le « retrait des Etats » non compensé par l’intervention des ONG.

L’union Européenne n’a toujours pas marqué clairement sa volonté de s’extraire de la logique mondialement dominante même si la question sociale n’est pas absente du paysage à travers l’actuel débat autour des Services publics et de leur rôle. Dans notre pays, le débat s’aiguise sur le rôle de l’Etat dans un regain éditorial qui peine cependant à dépasser le cercle restreint des spécialistes.

Le « benchmarking », simple technique élevée à la hauteur d’un mode unique de pensée par ses pratiquants technocrates, joue son rôle de cheval de Troie de l’idéologie ultralibérale anglo-saxonne, ses relais nationaux foisonnent.

L’ouvrage « notre Etat, le livre vérité de la Fonction publique » co-rédigé par 29 « experts » tous issus de la technostructure décrit clairement le projet. Pour nombre d’entre eux le champ d’action de l’Etat : « se définit de manière restrictive par l’exercice des seules fonctions où le marché est inopérant ou insuffisant ».

Il faut, pour les mêmes auteurs, réduire le déficit public et les impôts par : « la diminution des dépenses de l’Etat ». L’ouvrage se conclut par une invite pressante : « pour la réforme de l’Etat, il n’est pas trop tard, mais en tout cas, il est temps ».
Il s’agit donc bien de savoir si, dans un contexte international marqué par le retrait des services publics et la réduction de l’Etat à quelques fonctions, notre pays doit s’aligner ou non sur les normes issues d’une conception du monde fondée sur les logiques d’un marché débridé et d’une conception comptable de la réduction des déficits publics.

Présentée sans les couleurs chatoyantes d’une modernisation nécessaire, adossée au socle politique selon lequel « un Etat immobile est un Etat en péril », la réforme SAUTTER, concoctée dans le secret des cabinets ministériels avec comme objectifs premiers et soigneusements occultés une baisse des effectifs et un repli des réseaux a connu l’échec retentissant que l’on sait.

Revenant sur ce dossier, la Tribune notait fort justement dans un article du 9/04/2002 : « La réforme de l’Etat est l’archétype de la formule convenue, voire technocratique, utilisée par tous les gouvernements pour en cacher les véritables enjeux ».

Succédant à C. Sautter, L. Fabius a lancé une « réforme modernisation » du MINEFI.

Le baromètre interne du ministère ausculte régulièrement les personnels (sept 2000, mai 2001, janvier 2002) par une importante batterie de questions sur de multiples sujets. Les réponses apportées à certaines questions doivent nous pousser à réfléchir. Ainsi, 68% des agents pensent que la réforme « semble aller dans le bon sens pour
l’Etat en général » alors que 67% considèrent en même temps que cela ne va pas dans le bon sens pour les personnels et ils sont 40% à penser que cela ne va pas non plus dans le bon sens pour les usagers.

L’enquête ne donne évidemment aucune indication sur ce qu’on doit, dans la première question citée, entendre par « l’Etat en général ». Le sens des réponses apportées peut peut-être se comprendre ainsi : les personnels du MINEFI ne semblent pas considérer appartenir à « l’Etat en général » et paraissent penser que pour une large fraction d’entre eux, les usagers n’en sont pas non plus.

Les questionnements, les troubles, on le voit, émergent, même de façon biaisée jusque dans les services. En même temps, des échéances fortes et connues s’annoncent. Citons les trois plus remarquables. D’abord la loi organique relative aux lois de Finances (LOLF) qui va se mettre progressivement en place dès le budget 2003 et trouvera sa pleine application dans le budget de l’Etat de l’année 2006.

Lors d’une journée d’étude ministérielle organisée sur le thème « piloter l’Etat autrement » (20/11/2001) L. Fabius a qualifié la LOLF de « réforme en profondeur de l’Etat ».

Les dispositifs d’application qui se mettent en plan en ce moment autour de la Direction du Budget montrent que le MINEFI sera à la fois le bras armé et le coeur de cible de cette réforme.

Ensuite la « bombe démographique » : la Fonction publique d’Etat verra partir en retraite, entre 2003 et 2018, 912 000 agents sur un effectif civil global de 1 660 000 personnes. Pour faire face à ces départs a été mis en place un observatoire de l’emploi public et s’installent progressivement des mécanismes de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Cette gestion prévisionnelle des emplois publics est présentée dans un rapport du Commissariat Général du Plan comme : « la clé d’une adaptation programmée de l’administration à l’évolution de ses missions et des attentes des usagers ».

Troisième élément marquant de la période : la profonde réorganisation en cours du secteur financier semi public dont l’objet est de l’éloigner des missions d’intérêt général dont il a la charge pour l’inscrire dans les logiques des marchés financiers [2].

Tout concourt donc à la nécessité d’y voir clair sur les enjeux autour des missions et de la place de l’Etat dans la société. Notre volonté de transformer le réel en mettant au coeur la question sociale ne fait aucun doute.

Notre posture ne peut se limiter à une critique - fut-elle pertinente - des objectifs de nos adversaires. Elle ne peut non plus se limiter à une nécessaire bataille sur les mesures immédiates qui s’inscrivent dans la logique libérale.

Il nous faut au contraire tenir les deux bouts : d’une part participer à la construction d’une perspective globale concernant le rôle et la place de l’Etat en référence à la question sociale, d’autre part, dans cette perspective, mettre en échec les mesures annoncées et formuler des revendications alternatives.

Autrement dit, inscrire notre démarche revendicative dans un cadre plus général de démocratisation de la société et de progrès social car les syndicats « manquent entièrement leur but dès qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime exsitant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation (...) » (Marx - Salaire, prix et profit). Mais pour transformer le réel, encore faut-il bien l’appréhender et le comprendre.

Notes

[1Y. Salesse a publié de nombreux ouvrages, notamment : « Réformes et révolution, propositions pour une gauche de gauche » éditions AGONE.

[2cf Le courrier n° 118 du 2/06/2002 p. 4

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